Comment parler des phénomène d’emprise et d’agressions sexuelles dans l’Église ? Les mots font débat, et les médias s’interrogent…
Les scandales à répétition dans l’Église catholique secouent le cœur, retournent le ventre et, bien souvent, nous laissent sans voix. Pourtant, comme journalistes, nous ne pouvons pas nous dérober : il faut en parler. Se pose alors, très souvent, la questions du vocabulaire que nous allons utiliser. Quels mots pour dire le mal ? Bien sûr, à chaque affaire, il y a des débats dans les rédactions pour déterminer jusqu’à quel point entrer dans les détails des crimes et des délits commis. Sans chercher à cacher les choses, la frontière est parfois mince entre un langage de vérité et une forme de voyeurisme.
Mais avant même cela, nous avons peu à peu appris à nous méfier des euphémismes qui cachent la réalité des faits dans un flou insupportable, et conduisent bien souvent – que ce soit ou non le but – à relativiser les actes. À moins de ne pas pouvoir faire autrement (faute d’informations claires), nous évitons donc à tout prix les expressions comme “geste inapproprié” pour dire les choses : ce qui est une agression sexuelle, ce qui est un viol.
C’est le fruit d’un important travail d’enquête qui a été révélé ce lundi 30 janvier. À la demande de L’Arche internationale une commission d'étude a fait la lumière sur le profil de Jean Vanier, le cofondateur de L’Arche. Elle révèle que 25 femmes adultes non porteuses de handicap ont été abusées par Jean Vanier. Lui-même aurait été selon les experts sous l’emprise de son père spirituel, le dominicain Thomas Philippe.
C’est même une évolution extrêmement intéressante à étudier, car elle dit autant d’un progrès dans la perception sociale des affaires que d’un véritable travail de réflexion à l’intérieur des rédactions de presse, pour rendre compte au mieux des phénomènes.
Je vous donne un exemple : il y a quelques années encore, le mot qui revenait le plus – et qui suscitait une horreur légitime –, c’était celui de "pédophilie". Et puis le terme a été remis en cause, notamment en raison de son étymologie, qui renvoie à "l’amour des enfants", à une amitié qui prendrait soin… tellement éloignée de la réalité de la pédophilie, qui détruit des vies. Ainsi s’est imposé l’usage d’un autre mot : "pédocriminalité". Mais même cet ajustement de vocabulaire pose problème, car il ne couvre qu’une petite partie des scandales : les agressions sur mineurs.
La formule "abus sexuel", est elle-même très contestée. Je reçois par exemple régulièrement des courriers de lecteurs qui voient dans le mot “abus” une volonté de relativiser les choses, comme lorsqu’on dira de quelqu’un : "Oh, il abuse un peu…"
En fait, le terme est sans doute né à la fois d’un anglicisme (en anglais, "abuse" a un sens beaucoup plus fort de "maltraitance") et d’un certain vocabulaire juridique, comme on parle "d’abus de pouvoir" ou "d’abus de faiblesse". Mais il faut bien reconnaître que l’expression "abus sexuel" est problématique, parce qu’elle euphémise encore des actes criminels. À La Vie, nous essayons d’éviter de trop l’employer… Sauf qu’il y a un problème : "abus sexuel" est devenu un mot-clé compréhensible de tous, et employé partout. Voyez le nom de la commission Sauvé, la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église). Personne pourtant ne peut lui reprocher de minimiser le problème !
Dans nos articles, nous privilégions maintenant la formule, plus large, “abus et violences sexuelles”, pour rendre compte à la fois de la dimension d’abus de conscience, d’abus spirituel, et la violence physique des agressions sexuelles qui, trop souvent, en découlent.
Est-ce que l’expression est satisfaisante ? Absolument pas. Mais elle marque une étape dans l’évolution de notre prise de conscience. Et il est probable que, demain, une nouvelle façon de désigner ces actes avec davantage de finesse fera son apparition. Pour ma part, je me surprends de plus en plus souvent à parler "d’emprise et violences sexuelles" – le mot "emprise" venant remplacer celui "d’abus"…
Une chose est sûre : la société et l’Église catholique n’ont pas fini de s’interroger sur la justesse des mots pour dire le mal. Et nous, comme journalistes, de participer, à notre échelle, à cette réflexion.
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