C'est en France qu'est née la langue des signes, à Cluny, plus précisément. Et l'Église catholique a joué un grand rôle dans son développement. Pourquoi un tel intérêt pour cette langue qui rend visible la parole ? Le dominicain Xavier Loppinet, aumônier de la pastorale des sourds à Nancy, nous propose une méditation sur la Parole incarnée.
Tant de fois dans les Écritures il est question d’écouter, d’entendre ou de tendre l’oreille. Savons-nous vraiment ce que signifie se mettre à l’écoute ? Et si "le monde des sourds" nous l'enseignait ? Depuis vingt ans, le dominicain Xavier Loppinet accompagne des personnes sourdes et malentendantes au sein de l'Église, en tant qu'aumônier. Il nous propose une méditation sur la parole et l'écoute. Il est question de savoir incarner la parole de Dieu.
"Les sourds sont invisibles, c’est un handicap invisible." En moyenne, un enfant sur 1.000 naît sourd. En France cela concerne 300 à 400.000 personnes. "C’est pour ceux-là que je parle." Le dominicain Xavier Loppinet est aumônier de la pastorale des sourds et malentendants de Nancy, référent de la coordination pastorale des sourds de France. "La pastorale des sourds, dit-il, c’est tout un univers qui a une histoire, des codes, une culture sur plusieurs siècles." Et "une histoire spirituelle absolument fascinante !" Et comme il le rappelle, la France est le berceau de la culture sourde, où l’Église a joué un rôle aussi discret qu’essentiel.
Frère Xavier Loppinet a appris la langue des signes, celle qui a été codifiée à Cluny, en l’an 1000, et développée au XVIIIe siècle par l’abbé de l’Épée. "C’est une langue qui peut tout dire, ce n’est pas une langue limitée, c’est une langue extrêmement fine… J’espère que tous vos auditeurs pourront un jour voir la parole de Dieu signée par un sourds. Ils verront la parole de Dieu et jamais ils n’oublieront ce passage !"
Pourtant, la surdité est un handicap dont les sourds eux-mêmes disent qu’il fait peur. Car lorsque "vous êtes, vous entendant, face à un sourd, vous êtes vous-même bloqué dans la communication", explique Xavier Loppinet. "Les sourds il ne faut pas se faire entendre d’eux, il faut les écouter."
Les sourds m’ont appris à faire corps avec la parole de Dieu
Frère Xavier Loppinet a écrit pour les personnes sourdes et malentendantes qu’il accompagne un livre au titre énigmatique : "Les sourds, en ce jour-là, entendront les paroles du livre" (éd. Cerf, 2024.) il est tiré du Livre d’Isaïe (29, 18). "Sept cents ans avant J.-C., Isaïe annonce que les sourds entendront en chair et en os, explique Xavier Loppinet, cette parole, c’est Jésus Christ lui-même qui s’approche des sourds et qui rend la parole visible."
Dans les Écritures, il est très souvent reproché aux uns et aux autres de ne pas savoir entendre. "Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende !" dit Jésus (Mc 4, 23) Pour le dominicain, les sourds représentent "des cas limites de l’Homme". "Comme l’Homme par rapport à la parole de Dieu, c’est toujours compliqué dans la Bible, des gens qui n’entendent pas par côté médical symbolisent l’Homme dans sa capacité ou pas à accueillir la parole de Dieu."
Depuis qu’il accompagne la pastorale des sourds, le frère prêcheur a changé sa façon de prêcher justement. "Maintenant mon corps fait partie de ma prédication, confie Xavier Loppinet, les mains font partie de ma manière de prêcher, mes homélies sont plus vivantes et plus justes, plus engagées. [Les sourds] m’ont appris à faire corps avec la parole de Dieu."
La première fois qu’on parle de surdité dans la Bible, c’est au Livre de l’Exode. Au chapitre 4, Moïse dit à dieu qu’il a "la bouche lourde et la langue pesante". Dieu lui répond : "Qui donc a donné une bouche à l’homme ? Qui rend muet ou sourd, voyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, le Seigneur ?" (Ex 4, 11) Pour Frère Xavier Loppinet, c'est comme si la parole, c’était l’affaire de Dieu.
Il y a aussi un passage étonnant au chapitre 20 de l'Exode, le verset 18 dit : "Tout le peuple voyait les éclairs, les coups de tonnerre, la sonnerie du cor et la montagne fumante." (Source : Aelf) Certaines traductions disent : "Tout le peuple vit les voix du tonnerre…" "Il y a quelque chose d’un peu messianique, explique Frère Xavier Loppinet, dans le peuple futur, tout le monde aura accès à la parole par tous les sens. Il y a au sens technique, une forme de de synesthésie, c’est-à-dire que voix, parole, visuel sont liés. Or ce qui est original dans le monde des sourds c’est que la parole sera visible."
Dans les évangiles il y a de nombreux miracles et scènes de guérison, souvent des aveugles qui recouvrent la vue. Il y a aussi un sourd que Jésus guérit, comme il est dit au chapitre 7 de l’évangile de Marc. Mais c’est "un miracle laborieux", décrit Frère Xavier Loppinet. Il y a toute une série de gestes que Jésus fait. "Pour guérir un sourd, décrit le dominicain, Jésus paie de sa personne. Il l’emmène à l’écart, donc pour une relation individuelle. Il met ses doigts dans les oreilles, avec sa salive, il touche la langue du sourd et il dit : Ephatta, ouvre-toi !"
C’est un geste symbolique "extrêmement fort", estime le dominicain, car au chapitre suivant, Jésus dit à ses disciples : "Vous avez des yeux et vous ne voyez pas, vous avez des oreilles et vous n’entendez pas !" (Mc 8, 18) Or, "il n’y a pas pire sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, ça on le sait", rappelle le dominicain. Ainsi, la quand Jésus guérit un sourd, c’est comme pour dire : "Maintenant tout le monde a accès à la parole de Dieu qui est moi."
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