Le rapport Sauvé a révélé que 330.000 personnes ont été victimes d'abus sexuels dans l’Église depuis 1950. Pour le jésuite Patrick Goujon, prêtre et lui aussi victime, ce sont des "survivants". Lors d'une table-ronde à Lourdes, avec Jean-Marc Sauvé, il s'exprime avec force sur la souffrance des victimes et aussi la question du contexte dans lequel les abus se sont produits.
Réunie en assemblée plénière à Lourdes, du 16 au 19 novembre, la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France) a organisé une table-ronde sur le thème "Abus sexuels dans l'Église : responsables pour l'avenir". Enregistrée le 17 novembre, elle était animée par Étienne Pépin, avec Jean-Marc Sauvé et le Père Patrick Goujon, prêtre jésuite, auteur de "Prière de ne pas abuser" (éd. Seuil).
"On ne peut connaître et comprendre le réel tel qu’il est et en tirer les conséquences si on n’est pas capable de se laisser soi-même toucher par ce que les victimes ont vécu : la souffrance, l’isolement, et souvent la honte, et la culpabilité", peut-on lire dans le rapport Sauvé remis le 5 octobre dernier. Si "tout milieu social peut engendrer des abus", comme le rappelle Jean-Marc Sauvé, ce qu’il y a "d’absolument terrible" quand ces crimes sont commis au sein de l’Église, c’est que "c’est l’accès à ce que nous avons de plus intime, de plus précieux, c’est l’accès à la conscience qui, de manière assez générale, a été la clé d’entrée dans l’abus".
Un mois après la publication du rapport Sauvé, RCF lance une série d’émissions spéciales mensuelles pour nourrir la réflexion qui permettra de construire l’Église de demain.
"Ce que ça touche, c’est véritablement l’acte de croire, c’est-à-dire l’acte de faire confiance", témoigne Patrick Goujon. "À qui pouvez-vous faire confiance lorsque vous avez expérimenté charnellement et psychologiquement, dans l’unité même de ce qui vous fait, ce que l’on appelle l’âme, que cette confiance est trahie, et qu’elle est trahie violemment et délibérément ?" Prêtre jésuite, Patrick Goujon a vu ressurgir, après des années de déni, et à travers des souffrances corporelles, une détresse qu’il n’avait pas pu formuler jusque-là.
Il appelle les victimes "des survivants", c'est-à-dire "des gens qui ont renoncé au suicide, pas plus, pas moins". "Celui qui survit c’est celui qui, petit à petit, a fait des pas pour redonner sa confiance. Mais je vous prie de me croire, et tous les témoins disent cela : tous les matins, c’est à chaque parole." Le livre de Patrick Goujon, "Prière de ne pas abuser" (éd. Seuil), est paru le 7 octobre 2021, deux jours après la publication du rapport de la Ciase. Né - et agressé - à Verdun, il n’a pu s’empêcher de repenser à ce chiffre : 330.000. Soit le nombre de morts côté français pendant la bataille de Verdun. "Moi qui ai grandi dans les photos des champs de bataille de Verdun, ça m’a glacé. Ce que l’Église a fait aux enfants c’est ce que la folie meurtrière a fait à Verdun pendant la Première Guerre mondiale."
Le rapport Sauvé montre que "56% des abus se sont produits avant 1970". Période importante dans l’Église catholique, 1970 correspond à la réception du concile Vatican II (de 1962 à 1965). Synonyme pour certains de laxisme sur le plan liturgique, ce contexte "soixante-huitard" serait l'une des raisons des abus sexuels dans l’Église. Or, tant que l’on cherchera des explications en dehors de l’Église, selon Patrick Goujon, "tant qu’on est dans ce rapport de ressentiment, d’accusation externe, on ne peut faire le travail intérieur d’invention de nouveaux modèles de transmission de la foi..."
Une partie des catholiques regrettent "le modèle de la civilisation paroissiale", observe Patrick Goujon, "où un curé pouvait vivre 40 ans dans la même paroisse" et "régnait avec un pouvoir moral mais aussi financier sur les communautés chrétiennes villageoises, rurales". Ces mêmes catholiques vivent "sous le mode du ressentiment la transformation de la société".
De la même façon, depuis une trentaine d'années, la théologie "a exclu" et "disqualifié progressivement les sciences humaines de sa réflexion", considère le jésuite. "Récemment encore des interviews dans le quotidien La Croix disaient explicitement le mépris pour la sociologie et l’histoire religieuse, le mépris", insiste Patrick Goujon. Une attitude qui pour lui n’est "pas tenable, ni au regard de la raison, ni au regard de la foi chrétienne, de la tradition biblique qui s’est toujours ouvert à la sagesse des autres".
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