La nuit de la foi peut arriver à tous les croyants. Une expérience paradoxale, car c'est au plus fort de la foi que se vit l'absence de Dieu. Comme beaucoup de grands mystiques, Thérèse de Lisieux, Simone Weil, Marie Noël, Etty Hillesum et Mère Teresa l'ont vécue. Dans "Au péril de la nuit" (éd. Cerf, 2017), le P. François Marxer décrit comment ces femmes ont traversé cette épreuve. Selon lui, leur exemple nous montre combien "la vie chrétienne est un combat", et aussi combien on soupçonne mal l'amour dont on est capable et la puissance créatrice qui est la nôtre, et à laquelle "il ne faut pas renoncer".
Dans la vie de sainte Thèrèse de Lisieux (1873-1897) il y a eu le 9 juin 1895. Lors de la fête de la Trinité elle a eu une révélation personnelle, une "illumination extatique". Et puis, lors du dimanche de Pâques de l'année 1896, elle est entrée dans une nuit de la foi. Elle se savait alors atteinte de tuberculose, mais se réjouissait de rejoindre bientôt son "époux", le Christ. Au jour de Pâques, c'est "la ténèbre" qui s'est instaurée, faisant taire cette joie.
"Elle est obligée de quitter le registre des représentations, de la croyance et du catéchisme." La nuit de la foi de Thérèse de Lisieux, c'est la perte de toute image de Dieu, de toute représentation. Si la foi est devenue pour elle un combat, c'est qu'elle "ne pouvait plus l'étayer sur des représentations rassurantes, consolantes". Pour le P. François Marxer, sainte Thérèse nous apprend "non pas à pactiser ou à entrer en confrontation mais à supporter l'athéisme que nous avons tous en nous". La nuit de la foi est là pour casser toutes les idées de Dieu que nous avons, aussi belles soient-elles, mais qui ne seront jamais Dieu. "Cette nuit c'est Dieu lui-même."
Philosophe laïque attirée par le marxisme, Simone Weil (1909-1943) est aussi cette grande mystique qui a dit : "Le Christ lui-même est descendu et m'a prise." Sa nuit de la foi est celle d'un amour pur et désintéressé, qui va avec une forme d'intransigeance. "Mon Dieu aidez-moi à devenir rien !" Cet amour va vers une néantisation de soi qui est au cœur de la mystique du désir.
Au cours de notre vie, de nombreuses épreuves comme le chômage, la maladie ou le deuil peuvent nous faire incliner dans le sens d'un renoncement - mais un renoncement que l'on peut comprendre, analyser, anticiper. Avec Simone Weil c'est "le réel qui vous prend à la gorge". Aimer jusqu'au bout c'est renoncer jusqu'à son propre renoncement.
Elle est l'une des plus grandes poétesses françaises. Marie Noël (1883-1967) a grandi dans le rigorisme intransigeant teinté de jansénisme qui caractérise la ville d'Auxerre à cette époque. Elle vit une "grande intensité d'amour" au jour de sa première communion. Mais en 1904, alors qu'elle avait été trahie par l'homme qu'elle aimait, Marie Noël a vécu le traumatisme de la mort de son petit frère. De ce jour, l'angoisse de la mort et du mal l'a habitée totalement. Comment supporter la bonté d'un Dieu créateur et l'existence du mal ? "N'y a-t-il pas un deuxième dieu ? C'est ça la question de Marie Noël."
Marie Noël crie sa révolte dans ses poèmes - certains sont même de l'ordre "du blasphème", dit le P. Marxer. Elle fait preuve en effet d'une grande liberté de pensée. Prise entre le logos et la charité, la raison pensante et l'amour, elle trouve son espérance dans la figure du Christ, lumière des soumis et des humbles. Dans l'un de ses poèmes elle décrit le Christ angoissé d'entendre le cri des hommes qui réclame à son père l'autorisation de l'incarnation.
Le P. François Marxer la cite dans son livre consacré aux femmes mystiques du XXe siècle, dont la plupart sont chrétiennes. Pourtant, Etty Hillesum (1914-1943) n'était pas chrétienne. La nuit de cette grande mystique morte en déportation "n'est pas une nuit intérieure". "C'est cette nuit qui tombe sur le territoire de l'Europe et dont elle va être la victime ; ce n'est pas le mystère de Dieu, c'est peut-être le mystère du mal, de la destruction de l'homme."
Durant la fin de sa courte vie elle a vécu une expérience forte d'ouverture du cœur et de découverte de son intériorité. "Ce qu'il y a de plus profond au-dedans de moi, je l'appelle 'Dieu'", a-t-elle dit. Dans sa fameuse "Prière du dimanche matin" (12 juillet 1942) elle écrit : "Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparaît de plus en plus claire : ce n'est pas toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons t'aider - et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes."
Religieuse en Inde, Sœur Teresa a reçu le 10 septembre 1946 un appel à consacrer sa vie aux plus pauvres des pauvres. Et c'est très peu de temps après avoir quitté son couvent qu'elle est entrée dans "la nuit de la présence", comme l'appelle le Père Marxer. Elle a donc créé sa communauté, consacré sa vie aux pauvres... et durant toutes ces années, elle ne ressentait rien. Ni sentiment, ni satisfactions, ni sensibilité. Ni ferveur, ni l'envie de prier. "Même le désir d'aimer semblait disparaître."
"Je me suis rendu compte que la nuit de Mère Teresa c'était la nuit du sacrifice, du vrai, c'est-à-dire qu'il ne reste plus rien, rien !" Il ne lui restait que la souffrance, "qu'elle a offerte comme la seule prière possible". Mère Teresa aurait pu basculer dans une dépression grave mais ça n'a pas été le cas. Il semble, mais il faut être prudent ou en tout cas mesuré, qu'à la fin de sa vie elle aurait éprouvé un désir de Dieu réciproque. Mais durant toutes ces années où elle s'est sentir privée de toute tendresse divine, on peut penser qu'elle a partagé la condition des plus pauvres d'entre les pauvres. "Une communion était possible."
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