Personne n'avait été prévenu. Quand, ce samedi 19 mars, la nouvelle constitution apostolique a été publiée, l'effet de surprise a été total. La réforme de la Curie romaine envisagée est d'une telle ampleur que le pape François voulait vraisemblablement prévenir les éventuelles résistances... Un véritable "coup stratégique" du souverain pontife.
La Curie romaine, c'est l'ensemble des dicastères qui assistent le pape dans sa mission. Elle fait l'objet d'une réforme en profondeur avec un texte, intitulé Praedicate Evangelium (« Annoncer l’Évangile »), paru le samedi 19 mars dernier. Il s'agit d'une nouvelle constitution qui entrera officiellement en vigueur en juin 2022.
Ce texte était "extrêmement attendu depuis plusieurs années". Cela faisait même deux ans qu’on annonçait une parution "imminente", raconte Loup Besmond de Senneville, correspondant à Rome du journal La Croix. Il se peut que les cardinaux en aient parlé avant le conclave, c’est-à-dire avant l’élection du pape François, selon Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire, enseignant à l’Institut catholique de Paris (ICP).
Malgré cela, il y a eu un vrai effet de surprise. Ce samedi 19 mars à midi, le pape François a pris tout le monde de court. "Personne n’était prévenu", se souvient Loup Besmond de Senneville. Pourtant, rien n’avait été laissé au hasard. Praedicate Evangelium a été publié le jour de la Saint Joseph, jour anniversaire de l’inauguration du pontificat du pape François. Sans doute le pape voulait-il ainsi "manifester" que ce texte paraissait bien "à l’intérieur de cette séquence, à l’intérieur de ce qui était demandé par les cardinaux à l’intérieur du conclave", suppose Luc Forestier.
À ce jour, le texte de 54 pages n’a pas encore été traduit. Pour le journaliste de La Croix, c’est le signe qu’il a été publié "sans tambour ni trompette" dans le but de prendre de cours les éventuelles résistances. "Il y a une volonté de minorer au maximum les résistances internes à la Curie et de ne pas laisser le temps à des résistances de s’exprimer de manière claire, construite." Loup Besmond de Senneville parle de "coup stratégique du pape François".
Le pape François et la Curie romaine, c'était déjà une histoire quelque peu mouvementée. On se souvient de son discours du 22 décembre 2014, lors de la présentation des vœux de Noël à la Curie romaine, sur "les 15 maladies" dont souffrent les dicastères chargés de l'assister dans le gouvernement de l'Église. Il avait usé de formules-chocs, comme "l'Alzheimer spirituel", la "schizophrénie existentielle", le carriérisme ou la recherche du prestige.
C’est la cinquième fois dans l’histoire de l’Église qu’une réforme de la Curie est engagée. La précédente datait de 1988, sous le pontificat de Jean Paul II. Depuis 2013 et l'élection du pape François, les révélations sur les abus sexuels commis par des prêtres se sont multipliées. Ainsi, la crise que connaît l’Église dans la plupart des pays occidentaux demandait de manière urgente de repenser l’organisation d’une Curie figée et jalouse de son fonctionnement. Autant dire que celle-ci, de nombreux catholiques l’espéraient.
Le pape vraiment ressort renforcé de ce texte comme une instance non pas de contrôle mais de décision
250 articles composent le texte, un texte "assez dense", décrit Loup Besmond de Senneville, où le pape "détaille, dicastère par dicastère, l’organisation de la Curie elle-même". (Un dicastère est l’équivalent d’un ministère.) "Ce qui est déterminant, comme toujours dans un document ecclésiastique de cette nature-là, c’est le plan", considère Luc Forestier. Ainsi, le fait de "mettre en premier le dicastère sur l’évangélisation avant la doctrine de la foi, est tout à fait déterminant comme geste". Pour l’enseignent à l’ICP, "c’est vraiment le choix de mettre l’ensemble de l’appareillage de la Curie romaine au service de la mission de l’Église qui est l’annonce de l’Évangile et son inscription dans l’histoire humaine".
De fait, il y a "un double mouvement dans ce texte : une décentralisation et une recentralisation autour du pouvoir du pape", note le journaliste de La Croix. La Curie est mise "au service de l’Église universelle, ce n'est plus un organisme de contrôle mais de soutien des évêques dans leur tâche".
D'autre part, beaucoup d’observateurs l’ont noté : le texte insiste sur la primauté romaine. Il y a une forme de verticalité assez marquée dans ce document : rien que la façon dont ce texte a été publié a quelque chose de "vertical", observe Luc Forestier. Pour Loup Besmond de Senneville, "le pape vraiment ressort renforcé de ce texte comme une instance non pas de contrôle mais de décision".
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