Neuf semaines après le D-Day normand, 350 000 soldats déferlent sur les plages varoises pour reprendre les villes et les ports méditerranéens et remonter dans la vallée du Rhône. Le débarquement de Provence célèbre cette année ses 80 ans, en présence du chef de l’Etat, Emmanuel Macron. Pourtant, il n’occupe pas la même place dans le roman national que le débarquement de Normandie. Un retrait qui s’explique par l’histoire, le symbolisme, la chronologie et également la culture populaire. Explication.
Le 15 août 1944, près de 100 000 soldats, surtout Américains, Canadiens, et Britannique débarquèrent sur les plages du Var. Ils devancent 250 000 soldats français, notamment des tirailleurs sénégalais, algériens et d’autres colonies africaines. Il s’agit de la fameuse Armée “B” qui libère Toulon, Marseille, Draguignan avant de remonter vers les Alpes. Un épisode décisif de la libération, mais souvent méconnu, car le débarquement de Provence reste encore dans l’ombre de celui de Normandie.
“Le débarquement de Provence est occulté par rapport au débarquement de Normandie”, regrette même Jean-Marie Roué, président de l’association de mémoire Delta Force 44, qui participe aux commémorations. Pourtant, “ils ont fait un travail remarquable en larguant 12 500 tonnes de bombes entre le 28 avril et le 5 août, puis l’avancée des troupes françaises et américaines a été sans commune mesure avec celle des alliés en Normandie” , assure-t-il. Alors pourquoi les exploits sur les plages méditerranéennes n’occupent-ils pas la même place que l'héroïsme des plages normandes ?
D'abord prévu en même temps que le Débarquement en Normandie, celui de Provence a finalement été décalé pour des raisons logistiques : les Alliés n'avaient pas assez de navires et les troupes prévues pour la Provence bataillaient encore en Italie début juin 1944. Décalé dans le temps, le débarquement de Provence a perdu en importance stratégique, en puissance symbolique malgré son succès sur le terrain.
On l’oublie parce qu’il est second, mais aussi parce qu’il est plus facile, notamment parce qu’il a causé peu de victimes
Toulon et Marseille par exemple sont libérés le 27 août, soit deux jours après Paris. “Donc on ne parle que de Paris” explique l’historien Jean-Marie Guillon, professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille. “Cette anecdote résume l’histoire du débarquement de Provence : il n’a pas de chance, car il s'est le second débarquement, éclipsé par celui de Normandie” poursuit-il.
Autre facteur : le débarquement de Provence est moins traumatisant que celui de Normandie. “On l’oublie parce qu’il est second, mais aussi parce qu’il est plus facile, notamment parce qu’il a causé peu de victimes” abonde Jean-Marie Guillon. Le 15 août, les Alliés ont perdu un millier d'hommes (tués, disparus ou blessés) en Provence, pour la plupart à cause d'accidents. Dix fois moins que le 6 juin en Normandie.
Grâce à un gros travail de renseignement en amont, à un rapport de forces plus en leur faveur et à l'appui de la Résistance, les alliés ont mis deux semaines, sans bataille épique à commémorer, même si certains combats ont été très violents. De plus, la plupart des soldats débarqués en Normandie y ont connu un baptême du feu, alors que la Provence n'a été qu'une bataille parmi d'autres pour des troupes qui avaient déjà combattu en Afrique du Nord ou en Italie.
À la différence de la Normandie où les soldats américains sont au cœur du débarquement, l'assaut en Provence compte beaucoup plus de troupes françaises, surtout issues des colonies. Le récit hollywoodien de la Libération s’est donc naturellement tourné vers Omaha Beach et les autres plages normandes. “Le débarquement de Provence a peut-être manqué un moment de grande culture populaire” juge Frédéric Pédron, directeur des Hauts lieux de la mémoire nationale du Var. “Nous n’avons pas de grands films hollywoodiens comme Il faut sauver le soldat Ryan (1998) ou Le jour le plus long (1962)” ajoute-t-il.
Le premier film consacré au débarquement de Provence a été un documentaire en 2014. Et si "Indigènes" de Rachid Bouchareb a mis les troupes coloniales en lumière en 2006, leur passage en Provence y est fugace.
Ce déficit mémoriel ne doit cependant pas éclipser l’importance stratégique et historique de ce débarquement. “Le débarquement de Provence est essentiel, car il a obligé Hitler à ordonner le repli de ces troupes” assure Jean-Marie Guillon. “Ce débarquement a deux objectifs stratégiques : aller au plus vite dans la vallée du Rhône pour couper le repli allemand et la conquête des ports qui sont indispensables pour l’approvisionnement futur des armées” analyse l’historien. Comme les ports atlantiques étaient inexploitables, Marseille a joué un grand rôle dans la marche vers Berlin: fin 1944, plus de 42 % du matériel nécessaire aux armées alliées y a transité.
En outre, pour l’après-guerre, le débarquement de Provence est important pour renforcer la France autour de la table des vainqueurs. “Ce débarquement de Provence permet de rappeler l’importance d’avoir des forces françaises qui libèrent le territoire national, ce qui était la volonté de De Gaulle” développe Frédéric Pédron. “Les forces qui débarquent en Provence sont très différentes de celles qui débarquent en Normandie où il y avait très peu de forces françaises” , précise-t-il. Sur les 350 000 engagés 250 000 sont français, sans compter les résistants qui ont aidé à libérer Toulon, Marseille ou Draguignan.
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