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Le débarquement de Normandie au-delà du mythe

RCF, le 5 juin 2024 - Modifié le 6 juin 2024
Les Racines du présentLe 6 juin 1944, au-delà du mythe

En choisissant de débarquer en Normandie le 6 juin 1944, l'armée américaine a privilégié une attaque frontale avec l'Allemagne. Un plan audacieux et bien pensé, mais aussi un formidable "coup de poker". À l'occasion des commémorations des 80 ans du D-Day, retour sur les coulisses américaines du débarquement, au-delà du mythe.

Troupes américaines devant Omaha Beach, le 6 juin 1944 ©wikimédia commonsTroupes américaines devant Omaha Beach, le 6 juin 1944 ©wikimédia commons

Ce jeudi 6 juin 2024, pour les 80 ans du débarquement de Normandie, une cérémonie est prévue au cimetière américain de Colleville-sur-Mer, dans le Calvados, en présence du président des États-Unis Joe Biden et de vétérans américains.

Les États-Unis qui ont fourni un effort massif durant toute la guerre. Au total, plus de 15 millions d’hommes se sont engagés dans l’armée. Pourquoi certains sont-ils allés risquer leur vie en Europe ? Comment la société américaine a-t-elle adhéré à l’engagement aux côtés des Alliés ? Le débarquement du 6 juin 44 est le fruit d’une longue histoire riche en paradoxes et malentendus voire incohérences.

 

Les Américains ont été très pragmatiques, ils ont anticipé ce conflit, ils y ont réfléchi très en amont

 

Convaincre la société américaine

"Si cette armée américaine atteint presque 15 millions d’hommes, c’est une armée de conscription, ça veut dire que ça rompt par avec la tradition historique américaine d’une armée de métier", nous explique Hélène Harter, historienne, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Amérique du Nord, et professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le dernier exemple en date d’une conscription aux États-Unis remonte à la guerre civile de 1860, que l’on nomme en France la guerre de Sécession. Un conflit particulièrement meurtrier.

On le sait peu, mais c’est dès 1940, "quand la France s’écroule", que la conscription a été organisée. Conscription qui pourtant "ne participe pas de la culture politique américaine", insiste Hélène Harter. Pour la rendre acceptable aux yeux de l’opinion publique, le gouvernement américain a pu compter notamment sur la propagande hollywoodienne. "Une propagande américaine assez positive mais justement qui force le trait, décrit Christophe Prime, historien au Mémorial de Caen et auteur de "L’Amérique en guerre - 1933-1946" (éd. Perrin, 2024). On invite, on incite la population à soutenir ces hommes, on crée un lien très fort, qui s’exprime dans le domaine culturel…"

Un effort qui a aussi été industriel. Les États-Unis ont assuré durant la guerre 40% de l’armement mondial et 60% des munitions. On dit qu’un bombardier par heure sortait des usines américaines. "Les Américains ont été très pragmatiques, précise l’historien, ils ont anticipé ce conflit, ils y ont réfléchi très en amont."

 

Débarquer en Normandie ou dans le Pacifique ?

"Ce que je retiens c’est ce lien assez indéfectible qui va exister pendant toute la durée du conflit entre ces soldats envoyés à des milliers de kilomètres et la société américaine", ajoute Christophe Prime. Un lien d’autant plus remarquable que le sentiment qui prédomine est ambivalent. Les Américains se battent certes pour la liberté mais "en même temps ils ne comprennent pas toujours pourquoi ils se battent, selon Hélène Harter. C’est Pearl Harbour qui a été attaqué par les Japonais." 

Fallait-il ouvrir un front en Europe ou dans le Pacifique ? Cette question a fait l’objet d’importantes luttes internes au sein des forces armées, notamment entre la marine et l’armée de terre. Les Américains avaient "une vision complètement globale, mondiale de la guerre", explique Hélène Harter, auteure de "Eisenhower - Le chef de guerre devenu président" (éd. Tallandier, 2024). "Une vision à la fois du théâtre d’opérations autour de ce front et du front asiatique." C’était d’ailleurs une crainte des Britanniques de voir l’état-major américain donner la priorité au front du Pacifique.

Si Churchill voulait un front à l’Ouest - mais dans les Balkans plutôt qu’en Normandie - c’est que "la guerre froide avait déjà commencé", rappelle Emmanuel Thiébot, directeur du Mémorial de Falaise et auteur du livre "Débarquement-Libération - 50 arrêts sur image, des préparations aux commémorations" (éd. Armand Colin, 2024). "On savait que Staline avancerait avec l’armée rouge, il fallait éviter que les Balkans tombent aux mains des communistes."

 

Nous nous savons la fin de l’histoire mais en ce mois de juin 44 l’incertitude était quand même manifeste parce qu’on savait la puissance de l’armée allemande

 

Le débarquement, "un coup de poker"

Si la bataille de Normandie, qui commence avec le débarquement, s'achève avec la Libération de Paris, l’objectif des Américains n’était pas la capitale française. La mission donnée à Eisenhower était d’aller "anéantir le nazisme à Berlin" souligne Emmanuel Thiébot. Les États-Unis ont ouvert un front à l’Ouest car ils ont choisi "le côté frontal avec l’armée allemande, là où ils vont être le plus pugnaces, le plus présent".

D’ailleurs, côté allemand on attendait ce débarquement "avec impatience", rappelle le directeur du Mémorial de Falaise. Les soldats allemands avaient été "ré-endoctriné" par Goebbels. "Il a fait comprendre à ses troupes sur le rivage des côtes françaises que ce sont eux qui seront les derniers remparts de la protection de l’idéologie nazie." Le front ouest, en un sens c’était leur frontière.

Ce débarquement de Normandie a été "à la fois un plan est extrêmement bien pensé" mais aussi "un grand coup de poker finalement", selon la biographe d’Eisenhower. Ce dernier avait même préparé des tracts pour présenter ses excuses. "Nous nous savons la fin de l’histoire mais en ce mois de juin 44 l’incertitude était quand même manifeste parce qu’on savait la puissance de l’armée allemande et sa capacité de résistance." La météo a également été "un point d’inquiétude extrêmement fort".

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