Normandie
Alors que les témoins directs de la guerre disparaissent petit à petit, la transmission de la mémoire de ce conflit doit s’adapter. Ces vétérans ont longtemps incarné la guerre dans l’imaginaire collectif, ne le feront plus qu’au travers de films. Aujourd’hui, c’est le patrimoine et les objets de la guerre qui la rendent concrète. Ces disparitions vont permettre aussi d’avoir une approche plus globale de l’histoire.
On ne compte plus le nombre de commémorations dans le Calvados et la Manche ce jour. Mais dans l'Orne par exemple, deux fanfares américaines viennent spécialement à Mont-Ormel ce 6 juin. Alors que la bataille qu'elle célèbre n'arrive que plus tard dans la guerre. Pour l'historien au CNRS à l'université de Caen Jean-Luc Leleu, il y a un paradoxe dans le fait que ces commémorations soient de plus en plus festives. : « L’évènement est sacralisé de manière festive et désincarnée. Ce sont les valeurs de paix et de liberté qui sont mises en avant. Mais on oublie l’essence même de l'événement qu’on commémore : un épisode violent et meurtrier ».
Cette sacralisation de l'histoire vécue, Jean-Luc Leleu l'observe aussi dans le phénomène de patrimonialisation des vestiges de la guerre. « Ces bunkers pouvaient auparavant être considérés comme des verrues. Les communes du littoral ont cherché à les effacer. Et maintenant, on constate une forme de patrimonialisation [de la part des communes], ces vestiges sont les seuls en dur du champ de bataille. »
Le patrimoine autour de la seconde guerre mondiale peut être déjà existant, où il peut sortir de terre pour marquer des batailles importantes. Exemple avec la fin de la bataille de Normandie. Après deux mois de combats depuis le débarquement, les troupes alliées ont encerclé l'armée allemande. Plusieurs dizaines de milliers de soldats sont bloqués dans la poche de Falaise-Chambois en août 44. C'est une unité polonaise qui barre la route aux Allemands et tente de briser l'encerclement.
Cette bataille est sanglante. Pendant cinq jours, les Polonais et leurs chars tiennent la butte pour ralentir le retrait des Allemands et mettre hors de combat le maximum de troupes. Cette victoire permet aux alliés de progresser jusqu'en Alsace et de libérer Paris. Dès le lendemain de la bataille, les alliés ont voulu marquer l'endroit.
Aujourd'hui le mémorial de Mont-Ormel a le mérite de faire exister au même endroit de nombreux objets récoltés sur le champ de bataille, une salle des cartes pour comprendre les grands mouvements de l'armée, et des enregistrements des témoins.
Et c'est aujourd'hui la façon dont se raconte l'histoire aux générations qui n'ont pas connu d’aïeux ayant fait la guerre. Rendre la guerre tangible, c'est l'objectif du Lieutenant-Colonel Emmanuel Desachy, délégué militaire départemental dans l’Orne. Il a fait restaurer un char de la 2e division blindée du général Leclerc pour qu'il se déplace auprès des scolaires du département. « Un objet comme celui-là appartient à la nation. C’est un formidable outil pédagogique qui permet de parler de nos aïeux et qui peut être présenté à des scolaires. »
Olivier Fély-Biolet lui a filmé le voisin de ses parents, le manchois Désiré le Fauconnier, pour conserver sa mémoire. Il en a fait un film, Le Gars des Callouins, qui tourne en ce moment auprès des scolaires et des salles pouvant l'accueillir en Normandie et partout en France. En juillet, il organise une projection à Port-Bail, le village natal de Désirée. « Au départ l’intention n’est pas de faire un film mais de garder en mémoire. » Olivier Fély Biolet invite les enfants qu'il rencontre à reproduire sa démarche pour conserver la mémoire de nos grands-parents.
La disparition des témoins va permettre de prendre du recul sur l'histoire. Le directeur du mémorial de Caen, Kléber Arhoul, parle même d'approche globale de l'histoire. « Nous avons une approche très française de la Libération, on va pouvoir prendre cette distance critique et observer comment le reste du monde analyse un évènement comme le 6 juin. »
Une mémoire à entretenir sur cette histoire de la guerre pour ne pas reproduire les erreurs du XXe siècle au moment où on évoque de nouveau des crimes de génocides et des crimes de guerres dans des conflits proches de chez nous.
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