Le 6 juin 1944, Jaques Mouchel avait 13 ans et habitait le Val de Saire. Il nous raconte son adolescence à la campagne pendant l’Occupation, les batailles aériennes répétées et l’arrivée des Américains.
« Je le raconte comme ça. Je n’ai même pas besoin de le lire, je le vois encore ». Quand nous le rencontrons, Jacques Mouchel sort de son tiroir quelques notes griffonnées sur un papier. Mais il n’en a pas vraiment besoin. L’homme de 94 ans enlève ses lunettes et se met à parler d’abondance, décrivant ses souvenirs avec précision.
Les Allemands faisaient partie des meubles
Jacques nous décrit l’arrivée des premières troupes allemandes dans son village de Théville, dans le Val de Saire, au nord-est du Cotentin. « Les premières troupes allemandes étaient avec des chevaux. Dans notre cour, il y avait 20 chevaux, alors il y avait une sacrée animation. » Dans la maison familiale, deux officiers allemands vivaient avec eux. « Ils faisaient partie des meubles. C'était agréable de discuter avec eux. On ne parlait pas allemand, c’est eux qui faisaient l’effort, on se comprenait bien. » En revanche, qui ils étaient et d’où ils venaient, ils n’en savaient rien. « On discutait de la pluie et du beau temps, mais ils ne racontaient pas leur histoire, pas question, c’était le secret partout.»
À la campagne, on ne manquait pas de grand-chose
L’adolescent qu’il était mettait la main à la pâte pour faire vivre le village. « Le boulanger n’avait pas de sel pour faire le pain. Alors j’allais avec la maringotte chercher le boulanger à Saint-Pierre et on allait prendre de l’eau de mer à Cosqueville. Il fallait 600 litres pour faire le pain. »
Jacques admet qu’à la campagne, il ne manquait pas grand-chose. « C’était surtout les chaussures qui nous manquaient. Quand les Américains sont arrivés, on a fait le plein. On leur donnait du calva, ils nous donnaient des chaussures. »
Malgré la guerre, les enfants continuaient d’aller à l’école, mais les journées n’étaient pas très studieuses. «À l’école, à Saint-Pierre, les Allemands avaient pris deux étages. On avait nos récréations quand il y avait de la place. On les regardait par la fenêtre défiler. Ils apprenaient à marcher au pas. C’était spectaculaire. Les profs faisaient ce qu’ils pouvaient, alors on n'apprenait pas grand-chose. »
Puis les parents de Jacques l’envoient en pension à l’abbaye de Montebourg. Mais là encore, le rythme scolaire est très perturbé. « Les fenêtres n’avaient plus de carreau. Il y avait des batailles aériennes tous les jours pendant deux ans, avec des petits avions de chasse anglais contre les Allemands. À chaque fois, il y en avait un qui tombait. Alors le dimanche, on allait voir où était tombé l’avion ».
On prenait des risques sans s’en rendre compte
Jacques se souvient particulièrement d'une bataille aérienne en 1942, lorsqu’il voit depuis la cour de l’école un bimoteur anglais flamber en plein vol et s’écraser dans un talus. « Moi et mon frère, on est parti comme des lapins, pour voir où il était tombé. Comme il était plein de munitions, ça mitraillait de partout. Le curé est arrivé, avec sa soutane et ses barrettes pour bénir les deux pilotes. Il a pris des risques aussi lui, mais on prenait des risques sans s’en rendre compte. » Des années plus tard, Jacques Mouchel a pris contact avec la famille de ces deux pilotes pour leur raconter ce qui s’était passé.
À maintes reprises, Jacques a frôlé de près de la mort. Peu de temps avant le Débarquement, alors qu’il trayait les vaches à la main avec un ouvrier, un camion allemand, garé à côté d’eux, est la cible de bombardements. «Les balles nous sifflaient de tous les côtés, une bombe est tombée à moins de 100 mètres de nous. » Pendant ce temps-là, sa mère, très croyante, priait, promettant de donner ses bijoux de famille aux orphelins d’Auteuil s’ils en réchappaient. « Alors les bijoux de famille, il n'y en a plus, elle a tout donné ! C’est sûr, on a failli y passer ce jour-là », admet-il.
Trois semaines avant le Débarquement, les élèves sont renvoyés de l’école. « On ne savait pas grand-chose. Même le jour du Débarquement, on l’a appris le lendemain. Mais on était habitué aux batailles aériennes, alors tout le monde s’attendait à tout. » Le nord-est du Cotentin a attendu quelques jours avant de voir les Alliés débarquer. « Les Américains allaient à Fermanville, dans les blockhaus et se battaient avec les Allemands au corps-à-corps.»
Malgré les conditions très difficiles de la guerre, Jacques Mouchel a retenu de bons souvenirs. « Avec les Allemands, comme avec les Américains, il fallait s’adapter. Il y avait de la résistance, il fallait qu’il y en ait. Mais quand on est à la campagne, je crois qu’il n’y avait qu’à aller au boulot. »
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