Marseille
À une dame qui s'inquiétait de la situation professionnelle de son fils, le président de la République a rétorqué hier : "Je fais le tour du Vieux-Port ce soir avec vous, je suis sûr qu'il y a dix offres d'emploi". Si simple que cela ?
C'est une intervention qui s'ajoute à la panoplie des "petites phrases" dont lui seul a le secret. Lundi 26 juin, en marge de son déplacement de trois jours à Marseille, Emmanuel Macron a promis à une femme que "dix offres d'emploi" attendaient son fils sur le Vieux-Port. Il ne disait pas autre chose en 2018, lorsqu'il invitait un jeune homme à "traverser la rue" pour trouver un travail. Juste déclaration, alors que restaurateurs et hôteliers peinent à recruter de la main d'œuvre ? Illustration d'un mépris présidentiel ? "Il y a du bon et du moins bon", nuance François Eygun, directeur de l'association Massajobs, qui accompagne les personnes vers l'emploi à Marseille.
Ce qu'on évite, c'est l'injonction. On veut offrir aux personnes du temps, de l'espace pour qu'elles puissent prendre conscience de ce qu'elles veulent, de la façon dont elles pourraient le faire
"De fait, à Massajobs, on essaie de permettre aux personnes d'agir par elles-mêmes. De faire le tour du Vieux Port, d'aller à la rencontre de restaurateurs, hôteliers, entrepreneurs qui ont des difficultés à recruter", déclare François Eygun qui constate, raccord avec le président, les difficultés de recrutement de certains secteurs. Le ton du chef de l'Etat, en revanche, le gêne quelque peu."Ce qu'on évite, c'est l'injonction. On veut offrir aux personnes du temps, de l'espace pour qu'elles puissent prendre conscience de ce qu'elles veulent, de la façon dont elles pourraient le faire, explique-t-il. C'est là que je me détache de cette proposition un peu rapide".
Avec le plan "Marseille en grand", le chef de l'Etat promet de redynamiser la cité phocéenne, minée dans certains quartiers par la misère et la pauvreté. Au premier trimestre 2023, le taux de chômage était de 7,1% à l'échelle nationale, selon l'Insee. Dans certains arrondissements de Marseille, il s'élève à près de 30%, soit quatre fois plus que la moyenne nationale. "Il y a des emplois créés, mais qui ne sont pas forcément en adéquation avec les compétences présentes sur le territoire, analyse François Eygun en connaisseur du tissu marché de l'emploi local. Un gros effort a été fait sur la formation, mais il faut ensuite que ces métiers plaisent aux personnes. Est-ce qu'on veut, pour atteindre le plein emploi, occuper les gens avec des métiers quels qu'ils soient, ou veut-on permettre aux personnes de devenir actrices de leur vie par un travail qui les épanouit ?", interroge-t-il comme pour interpeller Emmanuel Macron.
Misère, pauvreté et deal. Le cercle infernal de Marseille. Depuis le début de l'année, 23 personnes ont trouvé la mort dans un règlement de compte lié au trafic de stupéfiants. Un record à l'aube de l'été. La spirale est d'autant plus difficile à rompre que, dans ce système de non-droit, un simple guetteur peut être rémunéré jusqu'à 200 euros par jour. Difficile à rompre, certes, mais pas impossible. "Il y a des jeunes qui ont une vraie prise de conscience sur ce que leur permet leur vie dans l'économie parallèle, par contraste avec ce à quoi ils aspirent vraiment, assure le directeur de Massajobs. Mais ça demande du temps. Car les histoires restent : quelqu'un qui aurait fait des bêtises plus jeune, il peut trouver un CDI dans une entreprise, et derrière être rattrapé par une affaire non jugée qui ressort". D'où la nécessité d'être épaulé par des associations. "Ils ont envie d'une vraie vie, en grand, normale, sans le risque de mourir, d'être arrêté ou d'aller en prison", insiste-t-il. En somme, "une vie simple dont ils sont acteurs".
Quelqu'un qui aurait fait des bêtises plus jeune, il peut trouver un CDI dans une entreprise, et derrière être rattrapé par une affaire non jugée qui ressort
Loin de ne concerner que les jeunes hommes des quartiers nord, le problème de l'insertion professionnelle est général à Marseille. Si Massajobs aide "55% de moins de trente ans", elle vient aussi en aide à "des papas un peu perdus face aux nouveaux codes du travail, des mamans qui n'ont jamais eu d'emploi", expose François Eygun. Pour ces dernières, l'enjeu est de "faire le lien, petit à petit, entre ce qu'elles ont fait à la maison et ce qu'elles pourraient faire en entreprise". Alors qu'elles ont tendance à se dévaluer et à sous-estimer leurs talents, "ce sont pourtant des profils qui généralement rassurent les entreprises, car derrière il y a une vraie capacité de travail, de rigueur, de ponctualité".
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