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Asie : pourquoi la présidentielle à Taïwan nous concerne ?

Un article rédigé par Baptiste Madinier (avec AFP) - RCF, le 11 janvier 2024 - Modifié le 12 janvier 2024
Le dossier de la rédactionÉlection à Taïwan : la démocratie face à l'étau chinois

Les Taïwanais votent samedi pour élire leur nouveau président. Une élection scrutée dans le monde entier, car elle se déroule sous la menace chinoise. Pékin aspire depuis des décennies à ramener l’archipel dans son giron. Un scénario qui aurait des conséquences géopolitiques, économiques, stratégiques et aussi culturelles sur le monde entier, notamment l’Europe.

Les membres de la Garde d'honneur de la République de Chine (ROC- Taïwan) regardent un garde tenir le drapeau taiwanais sur la place de la Liberté. / Photographie de Valeria Mongelli / Hans Lucas.Les membres de la Garde d'honneur de la République de Chine (ROC- Taïwan) regardent un garde tenir le drapeau taiwanais sur la place de la Liberté. / Photographie de Valeria Mongelli / Hans Lucas.

Le nombre de citoyens à Taïwan, 23 millions, dépasse à peine le nombre d’habitants à Pékin, 21,5 millions. L’archipel, composé de 168 îles, se classe au 138e rang mondial en termes de superficie. Pourtant, à l’heure où les Taïwanais sont appelés aux urnes pour élire leur nouveau président, les regards d’une grande partie du monde sont tournés vers ce pays. Car son sort est lié à celui du reste de la planète. On vous explique pourquoi :

Deux puissances face à face

La Chine lorgne depuis des décennies sur Taïwan qu’elle considère comme l’une de ses provinces qu’elle n’a simplement pas encore réussi à ramener dans son giron depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949. Lors de son discours de Nouvel An, Xi Jinping a déclaré que “l’archipel sera sûrement réunifié” sans préciser comment.

Le sujet est un point de tension majeur avec les Etats-Unis. Car si Washington reconnaît Pékin au détriment de Taipei depuis 1979, le Congrès américain impose parallèlement de fournir des armes à Taïwan, dans le but affiché de dissuader la Chine de toute volonté expansionniste. Washington entretient ce qu’on appelle une “ambiguïté stratégique” sur la question de Taïwan. En bref, les Américains laissent penser qu’ils défendront Taiwan en cas d’invasion chinoise.

Une guerre à Taïwan affectera le monde entier d’une manière autrement plus directe que la guerre en Ukraine 

Si demain il y a une guerre dans le détroit de Taïwan, cela affectera le monde entier d’une manière autrement plus directe que la guerre en Ukraine, car elle impliquera deux grandes puissances” prédit Jean-Pierre Cabestan, chercheur au Think thank Asia centre. “L’Europe, même si elle n’a pas les moyens d’intervenir dans ce conflit, devra réagir et prendre des sanctions, en tant que membre de l’OTAN” ajoute-t-il.

Les passes d'armes sémantiques entre les deux superpuissance se multiplient avant l’élection. Cette semaine encore, de hauts responsables militaires chinois ont réitéré à leurs homologues américains que la Chine ne ferait "jamais le moindre compromis" sur Taïwan.

De son côté, Washington enverra une "délégation informelle" après le scrutin, a annoncé une haute responsable américaine. "Il serait provocateur de la part de Pékin de répondre avec plus de pression militaire ou des actions coercitives", a-t-elle mis en garde.

Un archipel stratégique géopolitiquement

La position géographique de Taïwan est un point clé pour comprendre l’opposition entre les deux grandes puissances. Le pays est situé à quelque 180 kilomètres de la Chine continentale, séparé par un détroit qui fait l’objet d’une surveillance accrue et de nombreux exercices d’intimidation chinois.

Si Taïwan était pris par la Chine, il deviendrait une base militaire chinoise dirigée vers l’océan

“Taïwan fait partie du réseau d’archipels qui contient la Chine dans l’espace maritime de la mer de Chine et empêche sa projection directe sur l’Océan Pacifique” explique Jean-Yves Heurtebise, maître de conférence à l’université catholique de Fu-Jen à Taiwan et chercheur associé au Centre de recherche sur la Chine contemporaine basé à Taipei. “Si Taïwan était pris par la Chine, cela offrirait à Pékin une ouverture directe sur tout le pacifique et il deviendrait une base militaire dirigée vers l’océan” continu le chercheur.

Cette dimension est très importante, notamment pour la France qui cherche à renforcer son influence sur la zone dite Indo-Pacifique, dans laquelle Emmanuel Macron a multiplié les voyages en 2023. “Ce serait un coup très fort porté à la crédibilité américaine et un point de fragilité important pour le Japon” ajoute Jean-Yves Heurtebise.
 

L'invité du 18/19Visite d'Emmanuel Macron en Indo-Pacifique : comprendre la stratégie

Un poids économique important

Une déstabilisation de la région aurait également des conséquences économiques qui résonneraient dans le monde entier. “Les sanctions contre la Chine auraient pour effet de désorganiser de manière fondamentale les chaînes de valeur actuelle” décrit Jean-Pierre Cabestan. “Nous sommes très tributaires des exportations chinoises dans beaucoup de domaines et Pékin a un poids beaucoup plus important que la Russie dans l’économie mondiale affirme le chercheur qui continue sa comparaison avec la guerre en Ukraine.

D’autre part, une invasion chinoise de Taïwan aurait des "conséquences désastreuses" sur le plan mondial, prévenait en août, dans un entretien à l'AFP, le ministre taïwanais des Affaires étrangères, Joseph Wu, invoquant l'importance de l'île en matière de voies de navigation et son industrie de semiconducteurs.

Les gardes effectuent la crmonie de relve de la garde au mmorial de Chiang Kai-shek. Photographie de Valeria Mongelli / Hans Lucas.

Ces composants sont indispensables à l'économie mondiale, des voitures aux téléphones portables en passant par les missiles et les frigos. “90 % des semi-conducteurs de dernière génération viennent de Taïwan” indique, Jean-Yves Heurtebise. Les conséquences d'un conflit seraient également catastrophiques pour le commerce : plus de 50 % des conteneurs transportés dans le monde transitent par le détroit de Taïwan.

Selon le groupe Rhodium, un blocus de l'île, comme Pékin l'a simulé lors d'exercices militaires en avril 2023, coûterait à l'économie mondiale "bien plus de 2.000 milliards de dollars", au minimum. De son côté, Bloomberg estime qu’une attaque sur Taïwan pourrait coûter 10 000 milliards de dollars à l'économie mondiale, soit 10 % du PIB.

Un laboratoire démocratique

Le dernier aspect qui rapproche Taïwan de notre réalité européenne, c’est une dimension culturelle. Les élections de 2024 seront les huitième de cette “jeune démocratie déjà solide” selon Jean-Yves Heurtebise. Le pays a connu deux alternances depuis sa démocratisation dans les années 1980. Il est même considéré comme un laboratoire démocratique dans la région.

“Taïwan est la seule démocratie sinophone” souligne le maître de conférence de l’université catholique de Fu-Jen. “Elle fait également partie des rares démocraties totales asiatiques qui rejoignent nos valeurs européennes” ajoute-t-il. Cet élément est un point clé pour comprendre l’implication de certains pays européens. Côté français, par exemple, des délégations parlementaires ont multiplié les visites à Taïwan, en forme de soutien face à la Chine.

Pour la Chine, Taïwan constitue le contre-récit du narratif porté par Xi Jinping

 “Le récit imposé par le président chinois repose sur l’affirmation que la démocratie est un modèle localisé non-universel, une spécificité culturelle de l’Europe et qui est en plus dysfonctionnel puisque la France connaît des émeutes alors qu’en Chine, l’ordre domine” complète-t-il. Taïwan constitue une résistance à ce récit. “Pour la Chine, Taïwan constitue le contre-récit du narratif porté par Xi Jinping” conclut Jean-Yves Heurtebise.

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