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Face à la Chine, l'Europe à la recherche du récit perdu

Un article rédigé par Constantin Gaschignard - RCF, le 26 juin 2023 - Modifié le 18 mars 2024
L'Invité de la MatinaleDavid Baverez : "Le conflit russo-ukrainien est sino-américain"

Alors que la guerre en Ukraine complique les relations internationales, l'Europe cherche le juste ton vis-à-vis de la Chine. Une entreprise délicate qui dépasse amplement la simple question économique.

Photographie de Xi Jinping devant le drapeau de la République populaire de Chine. ©Riccardo Milani / Hans LucasPhotographie de Xi Jinping devant le drapeau de la République populaire de Chine. ©Riccardo Milani / Hans Lucas

"Dérisquer" les relations avec la Chine : c'est l'expression absconse qu'avait employée Thierry Breton, commissaire européen pour le marché intérieur, avant le déplacement à Pékin d'Emmanuel Macron en avril. Une notion qui se comprend à l'aune d'une autre, le découplage. "Découpler, ça voudrait dire défaire ce qu'on a construit depuis trente ans. C'est ce qu'on veut éviter, explique David Baverez, investisseur français installé à Hong Kong et spécialiste de l'économie chinoise*. Dérisquer, c'est se dire que, de toute façon, la Chine est un acteur incontournable, et donc, de manière marginale, construire des alternatives pour ne pas entrer dans un rapport de dépendance vis-à-vis d'elle".

 

 

En réalité, la Chine est plus dépendante de l'Europe que l'Europe n'est dépendante de la Chine

 

 

Mardi 20 juin, la Commission européenne a présenté aux Vingt-sept un plan visant à réduire la dépendance de l'Europe à la Chine. "En réalité, la Chine est plus dépendante de l'Europe que l'Europe n'est dépendante de la Chine. Alors que la croissance chinoise est quasiment à l'arrêt, les exportations sont son principal vecteur de croissance", argumente l'homme d'affaires. Paradoxe d'entendre le Parti communiste chinois, dans le même temps, pourfendre le capitalisme occidental. "Le découplage est à l'ouest, le dérisquage est à l'est. C'est-à-dire que les Chinois, aujourd'hui, prônent ouvertement l'autosuffisance depuis le vingtième congrès du Parti communiste (en octobre 2022, au cours duquel le président Xi Jinping s'est octroyé un troisième mandat inédit, ndlr), qui a marqué une vraie rupture".

 

Plus qu'un affrontement économique, une guerre de civilisation

 

Dans ce contexte, quelle attitude l'Europe doit-elle adopter ? A n'en pas douter, la question dépasse largement les considérations économiques, bien qu'elles fassent évidemment partie de l'équation. "Il ne s'agit pas de maintenir un pouvoir d'achat, ce n'est de toute façon pas possible, estime David Baverez. Il s'agit de réfléchir à notre style de vie, et c'est là où je pense que la chrétienté a un rôle à jouer". Le rebond, selon lui, s'appuiera nécessairement sur l'inconscient chrétien du Vieux Continent. "Ce nouveau pacte social, nous ne pourrons le construire que si nous acceptons de faire des sacrifices et de partager : deux valeurs fondamentalement chrétiennes".

 

 

Il s'agit de réfléchir à notre style de vie, et c'est là où je pense que la chrétienté a un rôle à jouer

 

 

Aujourd'hui, la Chine a sur l'Occident un précieux avantage, celui du récit collectif. "Le président Xi Jinping fédère 1,4 milliard de gens en leur disant : 'En 2049, nous serons numéro un mondial'. Vrai ou faux, peu importe", analyse l'expert de l'Asie. Le tort de l'Ouest est d'avoir abandonné sa puissance narrative au seuil du XXe siècle. "Notre problème en Europe, c'est que nous avons perdu ce narratif commun avec un narratif de long terme. C'est ça qu'il faut que nous retrouvions", croit-il, invitant les dirigeants occidentaux à "inventer la société la plus durable possible", un objectif de long terme susceptible de fédérer.

 

Seconde guerre froide

 

Enlisée depuis son début en février 2022, la guerre en Ukraine a renforcé les antagonismes mondiaux préexistants. "Le conflit russo-ukrainien est en fait sino-américain, affirme David Baverez. Nous sommes entrés dans une seconde guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine, et notre problème à nous, c'est que l'histoire nous enseigne que les démocraties commencent toujours par perdre car leurs gouvernements leur mentent". A titre d'exemple, c'est ce qu'avaient fait les voisins européens de l'Allemagne lors des Accords de Munich de 1938, en laissant croire que l'ogre nazi pouvait être contrôlé avec une diplomatie soigneuse. A l'inverse, l'effort de vérité contribue souvent à la victoire. "C'est quand, en 1940, Churchill promet à sa population du sang, de la sueur et des larmes que les démocraties gagnent". Façon de dire que, près d'un siècle plus tard, l'Europe ne peut pas mentir à sa population. Le tête-à-tête avec la Chine continuera d'engendrer des temps difficiles. C'est le prix du rebond.

 

*David Baverez, Chine-Europe : le grand tournant, Le Passeur, 2021, 18,90 euros

 

 

 

 

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