Allemagne
En devenant officiellement le 32e pays membre de l’OTAN en mars 2024, la Suède rompt avec une stratégie presque culturelle de non-alignement militaire. Un virage qui s’inscrit dans la volonté du pays scandinave de se positionner sur une carte de la diplomatie internationale. À six semaines des élections européennes, Stockholm est en plein examen de conscience.
L’histoire d’amour entre la Suède et l’Union européenne débute en 1995. Son traité d’adhésion, approuvé par référendum à 52 %, contraint le pays à adopter l’euro une fois qu’il aura rempli l’ensemble des critères de convergence. Presque trente ans plus tard, la devise du pays scandinave est toujours la Couronne suédoise. Un référendum datant de septembre 2003 montre que la majorité de la population suédoise se déclare contre l’adoption de l’euro, laissant Stockholm, souveraine de sa monnaie.
S’il n’est aujourd’hui plus vraiment question d’adopter l’euro, la Suède entame depuis quelques mois un véritable examen critique de sa place dans la diplomatie internationale. Le pays scandinave, coincé entre la Norvège et la Finlande, souhaite réformer son positionnement stratégique vis-à-vis de ses homologues européens et occidentaux. Un examen de conscience amorcé au moment de l’arrivée de la coalition des droites au Parlement. “Très tôt et de façon très marquée, le parti d'extrême droite - les Démocrates de Suède - ont abordé des questions très frontales et très provocatrices”, explique Amélie Reichmuth, journaliste correspondante installée à Stockholm depuis cinq ans. “Ils ont levé les tabous que les autres partis n’osaient absolument pas aborder”.
Si la droite conservatrice a réinterrogé la place de la Suède au sein de la diplomatie internationale, la mutation est venue de l’intérieur. “Il y a une nouvelle coalition, historique. Elle rassemble à la fois les partis de droite traditionnels avec un Premier ministre Ulf Kristersson qui est issu du parti modéré”, avance Yohann Aucante, directeur d’études au CESPRA, spécialiste de la Suède. Cette alliance est considérée comme “historique” dans la vie politique suédoise car “formelle”. Pour la première fois, “le parti nationaliste des Démocrates de Suède est en soutien du pouvoir via un accord de gouvernance au Parlement”, sans pour autant qu’ils ne “participent directement à la coalition gouvernementale”.
Bien qu’historique dans son positionnement ancré à droite, la conception même de coalitions n’est pas rare dans les pays nordiques. “C’est presque culturel”, assure Amélie Reichmuth. Contrairement à ce qui peut être connu en Europe occidentale, former des alliances “pour diriger”, est propre à la Suède. “Cette notion de consensus crée une culture de peur du conflit. On a longtemps eu tendance à mettre des questions épineuses - notamment l’intégration - sous le tapis. Ça a nourri cette montée de l’extrême droite”, précise la journaliste.
À six semaines des élections européennes, la campagne a bel et bien démarré en Suède. Problème : 60 % des Suédois interrogés ne sont pas au courant que les élections européennes ont lieu cette année, selon un sondage IPSOS pour un grand quotidien national datant de mars dernier. “Il y a un déficit d’informations et de sensibilisation au sujet, même si la campagne a commencé. Dans l’inconscient collectif, c’est présent, mais on ne peut pas parler d’intérêt majeur et de mouvement de fonds”, constate Amélie Reichmuth.
Les préoccupations des électeurs suédois sont différentes à l'occasion des élections européennes de celles qui peuvent exister sur la scène nationale
Autre enseignement constaté par Cyril Coulet : “les préoccupations des électeurs suédois sont différentes à l’occasion des élections européennes de celles qui peuvent exister sur la scène nationale”, raconte le spécialiste des pays nordiques, et ancien chercheur à l’institut suédois des relations internationales. Parmi les grandes thématiques de cette campagne qui “a du mal à se lancer”, les têtes de liste suédoises axent leur meeting autour de “l’immigration, du climat, la politique énergétique, la défense, mais aussi la sécurité et la justice intérieure”. La différence avec la scène nationale ? “L’ordre est inversé”, précise Cyril Coulet. “Le fait que l’intégration et l’immigration soient sujets prioritaires tend à favoriser l'extrême droite par rapport à d’autres partis politiques”.
En devenant officiellement le 32e pays membre de l’OTAN, la Suède rompt avec une tradition de non-alignement militaire, presque historique dans le pays. Un processus lancé il y a deux ans, au moment de l’invasion russe de l’Ukraine, qui s’inscrit dans une profonde reconfiguration de la géopolitique suédoise. “C’est une inflexion majeure de sa doctrine de sécurité qui était présente depuis deux siècles. C’est une tradition en Suède la non-participation à une alliance militaire, en temps de paix, comme en temps de guerre”, rappelle Cyril Coulet. De plus, le pays scandinave se dit favorable à une aide à Kiev. “C’est la question des modalités de cette aide qui fait débat”, assure Yohann Aucante.
L'adhésion à l'OTAN est une inflexion majeure à sa doctrine de sécurité, présente depuis deux siècles
Avec cette adhésion à l’OTAN, conjuguée à la venue d’Emmanuel Macron en janvier dernier, Stockholm poursuit son examen de conscience et questionne sa place dans l’échiquier géopolitique européen. S'il a été question de politique énergétique, de sécurité et de spatial lors de la visite du chef de l’Etat français en territoire suédois en janvier dernier, la Suède réinterroge aussi sa place au sein des institutions européennes. “La question en trame de fond est de savoir comment prendre une place plus importante au sein de l’Union européenne, notamment au sein des institutions”, souligne la journaliste Amélie Reichmuth. “Il n’y a pas assez de Suédois compétents et intéressés à passer les concours et travailler dans les institutions européennes”, explique-t-elle. Depuis la prise de la troisième présidence tournante du Conseil européen, la Suède connaît une perte de vitesse au sein des institutions européennes. “À ce moment-là, le pays était à la manœuvre et en a sans doute utilisé cette opportunité pour faire une forme d’examen critique de son rôle au sein de l’Europe et de ses institutions”, conclut la journaliste franco-allemande exilée en Suède depuis cinq ans.
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