Allemagne
À l’occasion des élections européennes du 9 juin prochain, RCF vous propose une série de dossiers afin d’éclairer les enjeux internes de différents pays de l’Union européenne. Cette semaine : l’Allemagne
Depuis les dernières élections européennes Berlin a vu sa position au sein de l’UE bouleversée sur le plan sécuritaire, énergétique mais aussi économique et commercial. La guerre en Ukraine est venue ébranler les certitudes de nos voisins outre-Rhin et la question de l’aide apportée à Kiev devrait occuper une bonne partie des débats d’ici juin. Les difficultés économiques que traversent le pays et les craintes pour son tissu industriel bousculent aussi l’équilibre allemand. Elles participent également à la montée de l’extrême droite, l’AFD, qui impose un débat sur l’immigration.
“Nous vivons un changement d’époque.” Ces mots du chancelier allemand Olaf Scholz ont raisonné au Bundestag, le 27 février 2022, trois jours après le début de l’offensive de la Russie. Si cette déclaration se rapporte à l’invasion de l’Ukraine, ce “changement d’époque” (“Zeitenwende”) en Allemagne n’a jamais été aussi vrai que pour les élections européennes de 2024.
Sur le plan politique d’abord, car ces élections européennes seront les premières sans Angela Merkel. Olaf Scholz est au pouvoir depuis décembre 2021, à la tête d’une coalition tricolore inédite en Allemagne, rassemblant le parti social-démocrate (SPD) dont est issu le nouveau chancelier, le parti libéral-démocrate (FDP) et les Verts. “Ce sont trois partis qui représentent des intérêts très différents” rappelle la chercheuse Marie Krpata, qui travaille au sein du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de Institut français des relations internationales (IFRI).
L’AFD profite du questionnement qui grandit en Allemagne sur la place des migrants
“Le SPD représente les intérêts de la base industrielle allemande, mais aussi des employés et des ouvriers, les verts portent sur les questions écologiques et les libéraux représentent les entreprises et incarnent l’orthodoxie budgétaire” résume Marie Krpata. De l’autre côté de l’échiquier, le parti de l’ancienne chancelière, Angela Merkel, la CDU/CSU a rejoint les rangs de l'opposition. Plus à droite, à l’extrême même, l’Alternative für Deutschland (AFD) poursuit son ascension et confirme même sa percée avec 17 % des intentions de vote pour les européennes. “Elle a le vent en poupe et on s’attend à un très bon score” avance Michaela Wiegel, la correspondante en France pour le journal allemand, Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Lors des élections de 2019, les verts avaient marqué les esprits en arrivant en deuxième position illustrant la prégnance des questions écologiques. “Aujourd’hui, le contexte est très différent” prévient la chercheuse de l’IFRI.
“L’AFD profite du questionnement qui grandit en Allemagne sur la place des migrants dans la société et sur le marché du travail” explique Marie Krpata. “Comme en France, l’AFD surf sur le sujet de l’immigration alors la coalition au pouvoir essaye de ne pas mettre l’accent sur cette thématique” abonde Michaela Wiegel.
En effet, c’est un sujet qu’on connaît bien dans l’hexagone lorsqu’on aborde les questions européennes. En revanche, nous étions moins habitués à voir ce débat prendre forme chez nos voisins outre-Rhin. L’Allemagne avait acquis une certaine image en ouvrant grand ses frontières aux migrants syriens en 2015. “Cela devient une thématique très importante” confirme Marie Krpata.
Fin janvier, les révélations sur une réunion réunissant des cadres de l'AFD avec des identitaires et des membres de groupuscules néonazis ont ému tout le pays. Les participants à cette rencontre, qui s’est déroulée dans une villa à Potsdam en ex-Allemagne de l’Est, auraient discuté d'un vaste projet de "remigration" à destination des étrangers et des Allemands aux origines étrangères. Suite à ces révélations, d’importantes manifestations se sont multipliées dans toute l’Allemagne, rassurant sur l’état du rempart contre l’extrême droite.
Néanmoins, impossible d’ignorer le lent glissement opéré depuis 2015, lorsque l’Allemagne avait ouvert ses portes aux personnes désespérées arrivant de Syrie. “Il y a une vraie question de pouvoir d’achat décroissant qui se pose dans le pays et de l’intégration de ces personnes arrivées en 2015 sur le marché du travail” analyse Marie Krpata. “Dans les grandes villes, ils sont très bien intégrés, mais au sein d’autres régions, dans des petites municipalités, notamment en Allemagne de l’Est, cela peut devenir plus compliqué” , ajoute-t-elle.
La question migratoire se retrouve liée aux difficultés économiques que traverse le pays. Le produit intérieur brut, la richesse nationale produite par le pays, a reculé de 0,3% sur l’ensemble de 2023 et l’Allemagne est officiellement tombée en récession. “Le mécontentement est important car nous étions habitués au bon fonctionnement de notre économie” reconnaît Michaela Wiegel.
L'économie allemande, très ouverte, est vulnérable aux instabilités géopolitiques
“Le modèle économique allemand est un modèle très ouvert” souligne Marie Krpata. “Cette ouverture était sa force lorsque la mondialisation avait bonne presse ces dernières décennies mais aujourd’hui cette ouverture le rend vulnérable aux instabilités géopolitiques” complète-t-elle. De fait, l’économie allemande repose beaucoup sur les exportations et le “Made in Germany” est en ralentissement en Chine. “Sa force est devenue son talon d’achille” résume la chercheuse. À cela s’ajoute, comme chez ses voisins, l’explosion des prix de l’énergie et un contexte global d’inflation. “La sortie du gaz russe est extrêmement douloureux pour l’Allemagne” confirme la correspondante du Frankfurter Allgemeine Zeitung.
L’Allemagne apparaît comme affaiblie sur le plan économique. Ce n’est pas anodin pour un pays qui fait figure depuis des années de moteur économique de la zone euro. Or l'inquiétude grandit vis-à-vis du modèle industriel allemand. “Il ne faut pas dresser un tableau trop apocalyptique” tempère néanmoins Michaela Wiegel. L’Allemagne reste en effet la troisième puissance économique mondiale. “Il ne faut pas passer d’un extrême à l’autre, même si ce sujet va peser sur les européennes” affirme-t-elle.
L’Allemagne a aussi connu, comme la France, sa crise agricole. “Les critiques se ressemblent vis-à-vis du pacte vert européen” analyse la journaliste. Cependant, le monde paysan allemand devrait moins peser sur les européennes et l’agenda politique qu’en France. “À la différence de la France, l’Allemagne ne se vit pas comme un pays agricole”, explique-t-elle. Selon Michaela Wiegel, “l’agriculture représente une part infime du PIB allemand, par conséquent, je serais très étonné que le sujet devienne dominant pour ces élections.”
Reste que le Green Deal voulu par Bruxelles va peser sur les élections en Allemagne. Le dynamique écologiste n’est plus la même qu’en 2019. “La CDU/CSU pourrait profiter de cette situation” , gage Marie Krpata. “Ce parti critique beaucoup le Pacte Vert, la technocratie, les lourdeurs administratives et il met l’accent sur les entreprises allemandes qui perdent en compétitivité par rapport à d’autres régions du monde à cause du Green Deal” argument-elle. Dans le viseur des conservateurs notamment : faire annuler l’interdiction des véhicules thermiques dans l’UE d’ici 2035.
Inévitablement, la guerre en Ukraine va peser sur les élections européennes quel que soit le pays. En Allemagne, le débat est particulièrement prégnant. “C’est le prisme principal pour l’instant” selon Michaela Wiegel. D’un côté Olaf Scholz et le SPD, veulent se poser en parti pacifiste et éviter toute escalade, ce qui implique notamment de refuser l’envoi des missiles allemands taurus en Ukraine, car cela nécessiterait la présence de soldats allemands sur le sol ukrainien. Sauf que cette position divise sa coalition. “Les Verts sont beaucoup plus allant dans le soutien à l’Ukraine et les libéraux sont même va-t-en-guerre en voulant livrer beaucoup plus d’armement” développe la journaliste. À l’extrême-droite, l'AFD plaide selon elle “pour un armistice, des négociations… qui cachent en fait leur agenda pro-russe ?"
Les atermoiements allemands en matière de l’aide vis-à-vis de Kiev ont des répercussions au-delà de la politique intérieure du pays. Les divergences diplomatiques avec Paris ont alimenté les chroniques. En vue des élections de juin, le retour de la guerre sur sol européen alimente les débats sur la politique sécuritaire de l’Allemagne et sa place au sein de l’UE en matière de défense.
Au cours des 25 dernières années, Berlin a sous-investi dans le domaine militaire
“Sur le plan de la sécurité et de la défense, il y a une vraie remise en question” confirme Marie Krpata. “Au cours des 25 dernières années, Berlin a sous-investi dans le domaine militaire et a délégué ces questions de sécurité et de défense aux États-Unis”, explique-t-elle et ajoute qu’aujourd’hui l’Allemagne “se rend compte du retard qu’elle a pris”. “Il y a une crainte très réelle en Allemagne lorsque se pose la question de la sécurité européenne” conclut la chercheuse. Le “changement d’époque” est donc bien là. Reste à voir comment il prendra forme dans les urnes.
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