Allemagne
À l’occasion des élections européennes du 9 juin prochain, RCF vous propose une série de dossiers afin d’éclairer les enjeux internes de différents pays de l’Union européenne. Cette semaine : la Hongrie.
La toute-puissance du Premier ministre hongrois Viktor Orban est-elle menacée ? Ébranlé par un scandale autour d’une grâce présidentielle dans une affaire de pédocriminalité, l’équilibre du parti conservateur majoritaire du Fidesz semble en danger. À deux mois des élections européennes, organisées aux mêmes dates que les élections municipales hongroises, le début de la fin de Viktor Orban pourrait venir de l’intérieur.
Il se dit prêt à “occuper” Bruxelles pour “changer” l’Europe de l’intérieur. Depuis six mois et le lancement de sa campagne aux Européennes, Viktor Orban enchaîne les déclarations eurosceptiques. Son discours pro-européen, prononcé en 2010, a bien vieilli. Début novembre, il proposait une grande consultation aux Hongrois intitulée “Défendre la souveraineté nationale face à Bruxelles”. Bien que l’idéologie du tout-puissant Premier ministre hongrois semble de moins en moins isolée parmi les 27, c’est désormais la gronde partisane d'opposition, interne à son propre pays qui doit inquiéter Viktor Orban.
Viktor Orban et son contrôle de la presse hongroise n’y peuvent rien, tant l’affaire résonne dans le pays. La présidente de la République hongroise Katalin Novak et son ancienne ministre de la Justice ont été poussées à la démission mi-février. Toutes les deux ont été impliquées dans une grâce présidentielle délivrée à un homme accusé d’avoir couvert des abus sexuels de son supérieur hiérarchique au sein d’un foyer pour jeunes. Un scandale retentissant pour ces personnalités politiques, catapultées par Viktor Orban, au sein d’un parti - le Fidesz - champion des valeurs morales en ce qui concerne la pédocriminalité. En 2022, l’organisation politique hongroise se targuait de s’être dotée de la législation la plus dure de l’Union européenne pour lutter contre le fléau.
Pour la première fois depuis 2010, il se passe vraiment quelque chose dans la vie politique hongroise
Une vraie crise politique institutionnelle selon Corentin Léotard, journaliste et rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale. “Pour la première fois depuis 2010, il se passe vraiment quelque chose dans la vie politique hongroise. Avant, c’était à la fois très stable et très médiocre”. Avec deux tiers du Parlement, le paysage politique hongrois n'est en effet quasi-centralisé qu’autour du Fidesz, le parti de Viktor Orban.
Désormais, le très conservateur Premier ministre hongrois, autoproclamé libéral agnostique, se méfie d’un homme. Le nouveau candidat aux Européennes, Peter Magyar, ex-mari de la démissionnaire ministre de la Justice, qui n’hésite pas à piquer Viktor Orban là où ça fait mal. Ce week-end du 6 avril, il réunissait jusqu’à 10 000 personnes lors d’un meeting. Au sein de la majorité, la chute n’est qu’exponentielle : près de 300 000 électeurs ont tourné le dos au Fidesz en un an, selon les sondages. ”Le Fidesz est affaibli au moins dans le discours et obliquement comme il ne l’avait pas été depuis une dizaine d’années”, assure Corentin Léotard.
La crise politique et institutionnelle traversée par le pays n’arrange donc pas les affaires du très critique Premier ministre. L’objectif, pour lui désormais, est d’ouvrir une nouvelle séquence politique. “En est-il capable ?”, s’interroge Lukas Macek, chef du centre Grand Europe, de l’Institut Jacques Delors. “J’ai l'impression que ces enchaînements d'affaires et cette irruption de Peter Magyar sur la scène politique [...] vont complètement dynamiter ce qui était censé être la campagne aux Européennes de Viktor Orban”, pense le chercheur. “Tout ça est en train de tomber à l’eau, face au combat domestique et la révolte au sein de son propre parti”.
Ce n’est pourtant pas à s’y méprendre : l'issue des élections européennes du 9 juin prochain ne fait que très peu de doute en Hongrie. La question n’est pas de savoir quelle liste va l’emporter, mais bien d’analyser la proportion de la victoire de la liste du Fidesz. Ses déclarations très dures envers l’Europe divisent l’opinion publique hongroise.
À l'échelle de la Hongrie, les élections européennes risquent de se transformer en un référendum pour ou contre Viktor Orban
“Avec ce type de discours, les élections européennes sont présentes dans l’espace public hongrois, et polarisent entre ceux qui sont pour Orban et ceux qui sont contre Orban”, analyse Antonela Capelle-Pogacean, chercheuse spécialiste du nationalisme hongrois à Science po. “À l’échelle de la Hongrie, les élections européennes risquent de se transformer en un référendum pour ou contre Orban”, détaille-t-elle. “Ce sera le principal enjeu des élections du 9 juin”. Côté opinion publique, et même chez les électeurs du Fidesz, on a bien conscience de l’importance des financements de l’Union européenne. “Beaucoup sont pro-européens”, estime Lukas Macek. Preuve en est : le dégel en décembre 2023 de 10,2 milliards d’euros en faveur de la Hongrie, jusque-là privé de fonds communautaire pour manquements à l’Etat de droit.
Pourtant, malgré ses véhémences et ses critiques à l’égard de l’Union européenne, cette Hongrie de Viktor Orban n’engage aucun processus de sortie des 27. Le Premier ministre hongrois reste quand même “un pragmatique”, malgré ses “envolées idéologiques”, selon le journaliste Corentin Léotard, habitant à Budapest depuis quinze ans. “Il a besoin des fonds européens donc à court et moyen terme, il ne sortira pas de l’Union européenne”, assure-t-il. À quoi joue donc Viktor Orban, lui qui critique sans mal l’union politico-économique du Vieux-Continent, sans pour autant vouloir en sortir ? “Il veut la modifier en profondeur, de l’intérieur”, assurent d’une voix commune les spécialistes interrogés. Défenseur des valeurs chrétiennes de l’Europe, lui et son parti sont habitués aux thèmes clivants comme l’immigration et le contrôle aux frontières.
National conservative, sovereignist and Christian forces are on the rise all across Europe.
— Orbán Viktor (@PM_ViktorOrban) March 21, 2024
We don’t represent #progressive ideas, we represent the people.
We are the worst nightmare of the #Brussels bureaucrats.
We will win the #EuropeanElections this June and we will… pic.twitter.com/ixYRMKQiHN
Par ailleurs, lorsqu’il peut mettre des bâtons dans les rouages d’une décision européenne, Viktor Orban ne s’en prive pas. De là à parler d’un OVNI à l’échelle de l’Europe ? Non, selon Corentin Léotard. “Il est loin d’être isolé dans l’Union européenne. Il a Giorgia Meloni [Première ministre en Italie, NDLR] qui est un petit peu sa disciple. Ils sont très proches. Puis, il y a des forces politiques comme le Rassemblement national en France prennent Orban en modèle. Il est aussi très lié aux droites allemandes ou autrichiennes”, détaille le journaliste correspondant pour plusieurs grands médias nationaux. “Il est très loin d’être isolé”, martèle-t-il. À désormais moins de deux mois des élections européennes, l’homme qui gagne du terrain en Europe, en perd pourtant sur son territoire national. À quelle proportion ? Réponse dans les urnes le 9 juin prochain.
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