Dans le chaos de la dissolution, la gauche française a réussi à se réunir en un temps record en vue de la campagne éclair des législatives anticipées du 30 juin et du 7 juillet. Le Nouveau Front populaire a même réussi à se mettre d’accord sur un programme. Mais cette union électorale, dont l’ombre ressemble beaucoup à celle de la Nupes, ne convainc pas les observateurs de la vie politique qui ont du mal à voir autre chose qu’une alliance de façade.
Sur le papier, la gauche française a réussi un tour de force : parvenir à s’entendre sur une nouvelle alliance, à accoucher d’un programme commun et à se répartir 577 circonscriptions en moins d’une semaine. Après s’être déchirés pendant des mois, l’urgence, l’émotion de la dissolution et le spectre de l’extrême droite ont réussi à raviver les braises de l’ancienne Nupes qui étaient enfouies sous des monceaux de déclarations assassines, de divergences sur Gaza ou l’Ukraine et de polémiques stériles.
Néanmoins, cette alliance est de la "poudre aux yeux" selon Pascal Perrineau, professeur des universités rattaché au Cevipof. "On a vu les deux gauches s'affronter extrêmement durement il y a quelques jours. Sur la conception de l'Union européenne comme sur la résolution du conflit israélo-palestinien, ils ne sont pas d'accord", poursuit le chercheur.
Pourtant, chaque parti semble avoir fait un pas vers l’autre. Le programme commun de plus de 150 mesures réaffirme par exemple le besoin de “défendre indéfectiblement l'Ukraine”. Sur Gaza, gros point d’attention des socialistes et de Raphaël Glucksmann, le texte condamne “les massacres terroristes” du Hamas lors du 7 octobre, terme que LFI s’était toujours refusé à employer jusqu'ici. D’autres points restent sous silence comme l’OTAN. LFI souhaite en sortir, contrairement au PS.
Nonobstant cette ligne de crête trouvée chez les leaders de la gauche, les différences idéologiques restent profondes. “Vous avez des gens totalement pro-européens, d’autres qui sont totalement euro-sceptiques. Vous avez des différences complètes sur l’appréciation de la laïcité, de la République ou du communautarisme” rappelle Luc Rouban. Il est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique et chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Bref, “personne ne croit à cette alliance des contraires”, résume Pascal Perrineau.
Alors, le Nouveau Front populaire serait un coup d’épée dans l’eau ? Pas forcément, selon Luc Rouban. “Ce sera peut-être valable en termes de campagne pour bloquer le RN”, explique-t-il. Cette alliance, aussi cynique soit-elle, pourrait permettre aux différents partis de gauche de "sauver les meubles" confirme Pascal Perrineau.
En termes de gouvernementalité ou de capacité d’action au niveau de l’Assemblée nationale, on peut être beaucoup plus sceptique
L’horizon s’obscurcit cependant lorsqu’on regarde au-delà de l’échéance électorale. “En termes de gouvernementalité ou de capacité d’action au niveau de l’Assemblée nationale, on peut être beaucoup plus sceptique”, estime Luc Rouban. “Que pourront-ils faire ensuite et quelle sera leur crédibilité à l’Assemblée ?”, interroge de son côté Pascal Perrineau. “Les chicayas et le climat délétère imposé par la France Insoumise dans l’hémicycle vont-ils reprendre ? On irait alors vers un déclin définitif de l’Assemblée nationale !” s’inquiète le chercheur.
Sans même parler de programme, le premier défi pour ce Nouveau Front populaire serait de rester uni jusqu’au 30 juin. Déjà, les luttes internes à LFI ont fragilisé l’union. Plusieurs cadres de l’alliance se sont inquiétés des mouvements à l'œuvre au sein de la famille insoumise. Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, s'est dite “extrêmement choquée” par la “purge” menée par LFI.
"Les investitures à vie n'existent pas", a philosophé Jean-Luc Mélenchon pour justifier le remplacement de cinq figures historiques par de nouveaux candidats, invoquant également la nécessité d'"élargir les candidatures aux militants syndicaux et associatifs". Exit donc les investitures des députés sortants Alexis Corbière, Danielle Simonnet ou encore Raquel Garrido, qui avaient tous à différents degrés marqué des divergences avec la ligne mélenchoniste, et qui repartiront sous une étiquette de dissidents, avec le soutien d'autres forces de gauche.
Clémentine Autain et François Ruffin sont bien investis par LFI, mais la cassure semble être difficilement réparable. Ces deux autres frondeurs ont d'ailleurs dénoncé "une purge". Adrien Quatennens, intime de Jean-Luc Mélenchon, renonce lui finalement à sa candidature dans le Nord, embourbée par sa condamnation pour violences conjugales il y a 18 mois.
Au-delà des batailles en circonscription, une autre question incarne les problèmes de fond auxquels est confronté le Nouveau Front populaire : le Premier ministre. Qui prendrait les rênes du pouvoir en cas de victoire aux législatives ? L'alliance de gauche renvoie aux résultats du scrutin pour annoncer le nom de son Premier ministre. C'est le groupe qui aura le plus grand nombre de députés qui "fera une proposition", selon Manuel Bompard de la France Insoumise.
Cette perspective, pour l’instant chimérique, illustre néanmoins le problème de leadership qui se pose à gauche, au sein de cette nouvelle union. “À gauche, le seul homme qui se bat sur le terrain de la personnalisation politique est Jean-Luc Mélenchon, mais il est dans un processus d’extrémisation qui va extrêmement loin et qui le coupe de la gauche de gouvernement” estime Pascal Perrineau. Sauf que derrière, pour l’instant, aucune figure ne se détache pour prendre la relève.
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