Avons-nous été aveuglés par le charisme de Jean Vanier au point de ne pas nous interroger ? Avons-nous été émerveillés par son œuvre - L'Arche, si belle, si rayonnante - au point de ne pas nous poser de questions ? Quelques jours après le rapport de L'Arche Internationale, RCF a souhaité recueillir le témoignage de ses auditeurs.
Comment en est-on arrivés là ? Le rapport de L'Arche publié le 30 janvier dernier éclaire les zones d’ombres de la vie de Jean Vanier. Un homme que l'on déclarait saint et qui a pourtant abusé de 25 femmes, probablement plus. Avons-nous été aveuglés par une œuvre - L'Arche - si grande et si belle qu’elle nous empêchait d’entendre les alertes envoyées dès les années 50 ? Émerveillés par son message prophétique au sujet des personnes handicapées au point de ne pas se poser de questions ? Quelques jours après ces révélations, RCF a souhaité donner la parole aux auditeurs de RCF. Et à quatre des experts de la commission d'étude mandatée par L'Arche : Antoine Mourges, historien ; Claire Vincent-Mory, sociologue ; Bernard Granger, psychiatre ; Gwennola Rimbaut, théologienne.
"L’homme, et surtout le saint, a en lui la présence du bien et du mal, particulièrement le saint. Et la sainteté de Jean Vanier, elle est inoxydable, elle ne peut pas être mise en question. Le Diable a travaillé en lui, comme il travaille en moi, comme il travaille en nous. Et être chrétien c’est vivre ces deux choses, Jean Vanier est un exemple extraordinaire… L’Arche existe et Jean Vanier, il avait un regard. Personne ne peut oublier son regard, personne ne peut oublier son humanité et il ne faut pas oublier Jean Vanier."
Pierre, auditeur, en direct sur RCF, vendredi 10 février
On le sait, Jean Vanier le fondateur de L’Arche, faisait partie d’un groupe sectaire aux croyances mystico-érotiques déviantes, un petit cercle d’initiés autour du dominicain Thomas Philippe, au sein de la communauté de L’Eau vive. Le rapport commandé par L’Arche Internationale a révélé que Jean Vanier est entré dans ce cercle dès 1952, soit douze années avant de fonder l’association. À mesure qu’il y a eu enfermement dans la culture du secret, s’est déployée, à l’extérieur, la dimension charismatique qui a fait de Jean Vanier un héros contemporain.
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Que garder de Jean Vanier ? "Il reste quand même que la partie bonne de Jean Vanier a existé et demeure, nous dit Gwénola Rimbaut, théologienne et co-auteure du rapport de la commission d'étude, pour autant on est obligés de condamner avec vigueur tous les abus qu’il a commis." La commission d'étude a révélé que 25 femmes adultes non porteuses de handicap ont été abusées par Jean Vanier. Lui-même aurait été selon les experts sous l’emprise de son père spirituel, le dominicain Thomas Philippe. On pense que ce dernier "a amplifié les croyances mystico-sexuelles de son oncle", le dominicain Thomas Dehau. Il aurait reçu une révélation en 1938, lui indiquant que ce type de relations existaient entre Jésus et Marie, précise l’historien Antoine Mourges.
"Moi je suis allée à L'Arche de Jean Vanier. J'ai un fils qui est bipolaire, et il m'a beaucoup beaucoup aidée. J'ai même emmené des personnes qui y sont allées plusieurs fois... Et j'ai mal et je ne sais pas... Moi je n'ai eu aucun problème de perversité."
Aimée, en direct sur RCF, vendredi 10 février
C’est dès 1942 – avant la fondation de l’Eau vive - que Thomas Philippe a été convoqué à Rome à la suite de plaintes de deux femmes qu’il accompagnait spirituellement. En 1956, il a été condamné par le Saint-Office. Des sanctions lourdes, il s’est vu interdit de célébrer les sacrements et d’occuper un ministère au sein de l’Église.
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"On n’est pas complètement aveugles, explique l'historien Antoine Mourges, co-auteur du rapport, parce qu’en fait, quelque part, ça devient une affaire de famille, un squelette de placard qui existe dans la province dominicaine de France, chez certains anciens de L’Arche, dans la sphère de Saint-Jean, on le retrouve, il y a des gens qui savent qu’il y a eu des problèmes à L’Eau vive. Mais petit à petit ça s’est estompé complètement." Jusqu’à n’avoir plus "que des échos vagues et déformés" de ce qui a pu se passer. Ajouté à cela "une culture du secret et du mensonge", comme la décrit Claire Vincent-Mory, dans laquelle évoluait le petit cercle d’initiés.
Il est celui qui avait porté ce message de révélation autour de la dignité des personnes en situation de handicap mental
Quand Jean Vanier a lancé le projet de L’Arche, il avait déjà une solide réputation parmi les catholiques. Avec son œuvre pour les personnes handicapées, il était carrément perçu comme un prophète. "Il est celui qui avait porté ce message de révélation autour de la dignité des personnes en situation de handicap mental, note la sociologue co-auteure du rapport Claire Vincent-Mory. Il était celui dont on supposait que, quoi qu’il arrive il serait capable d’avoir les bonnes intuitions, de prendre les bonnes décisions pour L’Arche, pour ses membres." Est-ce parce qu’il a touché au cœur tant de personnes dans la détresse que Jean Vanier a été sanctifié ? Les premières révélations quelques mois après sa mort avaient provoqué une onde de choc.
"J'étais l'année 84 à L'Arche d'Aigrefoin. J'avais 20 ans, pleine d'idéal et d'enthousiasme. Nous avions Mgr Stéphane Desmazières qui passait sa retraite là, qui avait son petit logement, qui était très bienveillant et très proche des assistants. Régulièrement on allait lui parler. Je voudrais savoir quelles connaissances il avait du père Thomas, de Jean Vanier, de ce qu'ils pouvaient faire. Parce que jamais, jamais il ne nous a mis en garde. Comme jeunes assistants, on faisait bien sûr beaucoup de retraites autour du Père Thomas où on allait l'écouter quand il faisait ses conférences, etc. Que savait-il de tout ça ?... Moi ça a eu un impact sur ma vie personnelle, par exemple."
Hélène, auditrice, en direct sur RCF, vendredi 10 février
Comment identifier la part cachée d’un homme quand on a une confiance absolue en lui ? "À partir du moment où il existe une confiance très profonde, cela peut empêcher de voir les signes, des identifier, de questionner. Et c’est d’autant plus fort dans le cas de Jean Vanier qu’il jouissait d’une très grande autonomie dans l’institution de L’Arche." Autonomie "qui a contribué à ce que personne en soit en mesure de venir lui demander de rendre des comptes sur ce qu’il faisait".
"Cette question – comment est-ce que nous avons pu être aveugles aux actes d’emprise et d’abus ? Comment ça se fait qu’on a rien vu pendant 70 ans ? - L’Arche nous l’a posée à la commission, précise la sociologue membre de la commission d'étude. La question se pose pour les membres de L’Arche et tous ceux qui de près ou de loin lui ont fait confiance. Elle se pose également pour les éditeurs qui ont publié ses écrits. Et aussi pour les médias qui l’ont valorisé – RCF notamment avait retransmis la messe de ses funérailles. Ces révélations invitent chacun à interroger ses propres fascinations. Elle enjoint les médias notamment à un exercice constant de discernement et de vigilance.
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