Avec la publication de son rapport, ce lundi 30 janvier, la communauté de L’Arche fait face à un passé douloureux. Elle est née en 1964 au sein d’un petit groupe auquel appartenaient ses fondateurs, Jean Vanier et son père spirituel Thomas Philippe. Un groupe d’initiés qui se faisait appeler les "tout-petits", qualifié de sectaire par les experts à qui L’Arche a demandé d’enquêter. Ceux-ci ont tenté de savoir quel poids le groupe des "tout-petits" a eu sur la fondation de L’Arche.
Les auteurs du rapport sont clairs sur la question : L’Arche, association dédiée à l’accueil des personnes porteuses de handicap, n’a pas été "contaminée" par le groupe sectaire au sein duquel évoluaient ses fondateurs, Jean Vanier et Thomas Philippe. Mais sur les vingt-cinq femmes victimes d’emprise et ayant vécu une situation impliquant un acte sexuel ou un geste intime de la part de Jean Vanier, quatorze sont ou ont été membres de L’Arche. Le rapport de l’association publié ce lundi 30 janvier précise que ce sont des femmes majeures et non porteuses de handicap. Des femmes à qui Stephan Posner, le responsable de L'Arche Internationale, a demandé pardon dans la Matinale RCF.
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« Si le regard des historiens, sociologue, psychiatre, psychanalyste et théologienne se concentre sur Jean Vanier et L’Arche, l’analyse les oblige à accorder une attention privilégiée à la relation de Jean Vanier à Thomas Philippe, au groupe des "tout-petits", à la diffusion des croyances partagées. Il faut souligner que sans cela, aucune compréhension des actes d’emprise et d’abus sexuels commis par Jean Vanier n’est possible. » C’est une histoire difficile qu’il faut aujourd’hui relire à la faveur du rapport de la commission d’étude. La question que pose le rapport de L’Arche concerne notamment les origines de l’association. Elle est aujourd'hui présente dans trente-huit pays et fédère près de 160 communautés dans le monde.
Thomas Philippe et Jean Vanier, avec Jacqueline D'Halluin et Anne de Rosanbo, formaient à eux quatre le noyau dur d’un groupe d’ordre sectaire, aux pratiques "mystico-sexuelles". Ce groupe, né au sein de la communauté de l’Eau vive, fondée par Thomas Philippe en 1946 (et fermée par le Saint-Office en 1956) se faisait appeler les "tout-petits". Un vocable d’autant plus étonnant que le psychiatre Bernard Granger a identifié "quelque chose de totalement mégalomaniaque dans ce groupe". "Alors même qu’ils se désignent sous le vocable de « tout-petits », l’une des singularités de ce milieu tient en effet à sa dimension très savante", peut-on lire dans le rapport de L’Arche.
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"C’est en juin 1952 que l’une des femmes proches du père Thomas, Jacqueline d’Halluin, 26 ans, le fait entrer dans l’intimité des pratiques sexuelles du groupe", précise le quotidien La Croix. Un groupe identifié comme sectaire par les chercheurs, pour qui il est « légitime, en leur cas, de parler de "secte", non pas pour décrire le tout de L’Eau vive, ni le tout de L’Arche, mais pour désigner le noyau d’hommes et de femmes qui, de manière secrète, assurent la continuité et partagent des traits spécifiques... » Jean Vanier est resté jusqu’à la fin de sa vie fidèle à ce groupe des "tout-petits", dont il a été le dernier des adeptes et l'un des plus fervents. Au Vatican on le disait "fanatique" de Thomas Philippe.
C’est dans la période des années 1950 que s’origine cette formule emblématique de la culture du secret qui entoure le groupe des "tout-petits"
C’est en 1952 que Thomas Philippe a reçu l’interdiction "de communiquer avec les membres de l’Eau vive". Le rapport de L’Arche montre comment celui-ci "[a continué] d’influencer Jean Vanier, depuis les différents lieux où il [était] mis au secret, par le biais d’échanges épistolaires soutenus et de rencontres directes". L’éloignement de Thomas Philippe et les sanctions prises à son encontre ont en quelque sorte soudé le groupe autour de leur maître, vu comme une victime. « Ce qui soude les "tout-petits" dans l’adversité, c’est leur foi aveugle en leur maître "emprisonné" », écrivent les experts. Le but de ce groupe est "de soutenir Thomas Philippe tout en restant en lien avec lui clandestinement et en prolongeant ses pratiques mystico-sexuelles". 1956 marque sa condamnation par le Saint-Office. S’il n’a pas été renvoyé de l’état clérical, Thomas Philippe a reçu l’interdiction de célébrer les sacrements et d’occuper un ministère au sein de l’Église.
Entre 1952 et 1964 – date de la création de L’Arche, le groupe des "tout-petits" s’est donc consolidé et ce, à coup d’échanges épistolaires codés. « C’est dans la période des années 1950 que s’origine cette formule emblématique de la culture du secret qui entoure le groupe des "tout-petits" », explique le rapport de L’Arche. Les chercheurs ont révélé l’existence dans les archives personnelles de Jean Vanier d’un dossier intitulé "NFA", "not for all", contenant notamment 340 lettres reçues par Jean Vanier. Le rapport indique que « "NFA" recouvre en ce sens non seulement la diffusion très restreinte des documents eux-mêmes, mais également la doctrine elle-même, qui serait réservée à des "happy few" ». Dossier que Jean Vanier n’a jamais voulu détruire.
En 1964, "à la veille de la fondation de L’Arche, le groupe des "tout-petits" a retrouvé un certain dynamisme", estiment les chercheurs, même si l'on manque de sources sur la vie du groupe entre 1963 et 1964. Les initiés ont "su, contre la volonté de Rome, maintenir clandestinement des liens extrêmement forts, en continuant [leurs] pratiques mystico-sexuelles et en y initiant même quelques nouvelles personnes, qui de près ou de loin, avaient gravité autour de l’Eau vive."
En juillet 1963, Thomas Philippe est revenu en France. Une "libération" pour ses adeptes. Le petit groupe s'est enfin rassemblé. "La fondation de L’Arche est d’abord le résultat de ce désir de rassemblement", dit le rapport. C’est en mai 64 que le nom de L’Arche a été "retenu". Et le foyer a vu le jour le 5 août de la même année, avec l’accueil de deux hommes porteurs de handicap, Raphaël Simi et Philippe Seux. "L'intention première pour Jean [Vanier, ndlr], c'était d'abord de retrouver le père Thomas Philippe, même si ça a pu coïncider avec une volonté sincère de fonder L'Arche", indique Stephan Posner sur RCF.
Rapidement, des personnes extérieures à l’Eau vive ont rejoint le foyer de L'Arche. L'arrivée de ces personnes est sans doute l'une des raisons pour lesquelles L'Arche n’a pas été "contaminée par ces croyances délirantes", selon le psychiatre Bernard Granger, l’un des auteurs du rapport. Si Thomas Philippe est resté l'accompagnateur spirituel de L'Arche, l'expert décrit "deux mondes parallèles très cloisonnés entre ce qui était la vie des personnes, les comportements très déviants de Thomas Philippe, Jean Vanier et d’autres, et par ailleurs l’œuvre qu’a constitué la création de l’Arche et son développement".
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