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Tangi Cavalin : "Dans le système des frères Philippe, il y a d’abord tout un phénomène progressif de repérage des victimes"

Un article rédigé par Constantin Gaschignard - RCF, le 10 février 2023 - Modifié le 10 février 2023
L'Invité de la MatinaleTangi Cavalin, auteur d'un rapport sur le scandale des frères Philippe

Les graves abus commis par les frères Thomas et Marie-Dominique Philippe sont au cœur d'un rapport sidérant paru fin janvier. Selon cette enquête de 700 pages, réalisée pour faire la lumière sur ces dérives, ces abus se seraient étendus sur plusieurs décennies. Explications de l'historien missionné par l'ordre dominicain afin de documenter cette affaire. 

Tangi Cavalin était l'invité de #LaMatinaleRCFTangi Cavalin était l'invité de #LaMatinaleRCF

C'est Nicolas Tixier, prieur provincial des dominicains de France, qui a commandé ce rapport il y a trois ans à une commission indépendante pluridisciplinaire. L'objectif était d'éclairer la manière dont l'ordre a laissé prospérer ces agissements. "Au moment où je reçois cette lettre de mission, on est en janvier 2020, il y a déjà eu un certain nombre de révélations", se remémore Tangi Cavalin, chargé du rapport. Il souligne la nécessité de mélanger les profils pour ce type d'enquête. "C'est un travail qu'on ne peut pas mener tout seul donc autour de moi, j'ai une petite équipe. On est cinq en tout", précise-t-il. En plus de cet historien spécialiste du christianisme contemporain, la commission comptait une historienne, une psychiatre et deux sociologues. 

 

Une sanction canonique communiquée aux proches de Thomas Philippe

 

L'historien nuance le rôle du Saint-Siège dans la dissimulation de ces déviances. "Je ne sais pas si le Vatican n'a rien fait, je pense que c'est plus compliqué que ça", avance-t-il. En effet, dès le milieu des années 1950, Rome écarte le frère Thomas Philippe de la direction de l'Eau vive, centre spirituel à visée internationale qu'il avait fondé en 1945. L'auteur du rapport explique : "Au bout de quelques années, en 1952, il est retiré justement parce qu'il y a une plainte d'une première victime, qui l'accuse d'avoir eu des rapports sexuels, qui ne sont pas des rapports sexuels forcés ; ce sont des rapports sexuels qui sont motivés par la doctrine". Une doctrine selon laquelle Jésus et Marie auraient eu un lien mystico-érotique censé présager la vie céleste, et dont la Vierge l'aurait investi au cours d'une prétendue nuit de noces en 1938.

 

 

Je ne sais pas si le Vatican n'a rien fait, je pense que c'est plus compliqué que ça

 

 

En 1956, Thomas Philippe est condamné par le Vatican à la déposition, la peine la plus grave avant le renvoi de l'état clérical. Si la sanction est louable, Tangi Cavalin souligne que sa communication fut problématique : "Elle n'est pas en tant que telle rendue publique, c'est-à-dire que le Saint-Office - qui prononce cette sentence - va la communiquer à ceux qui sont considérés comme étant les complices de Thomas Philippe". Dans le cercle des très proches, on compte Jean Vanier, qui fait aujourd'hui lui-même l'objet d'un autre rapport, commandé par l'Arche, dont il est le fondateur, et paru également fin janvier. "Jean Vanier est le complice presque numéro un", juge l'historien. 

 

Une lanceuse d'alerte oubliée

 

Tangi Cavalin rend hommage à la combativité d'une laïque, "quelqu'un dont je pense qu'il faut rappeler le nom et l'honneur : Madeleine Guéroult, qui est écartée de l'Eau vive quelques mois plus tard après avoir dénoncé Thomas Philippe". 

 

C'est d'ailleurs son obstination qui aboutit au lancement par les Dominicains d'une enquête. "Il y a quelque chose qui se rebelle chez cette femme qui est extraordinaire, on a vraiment là quelqu'un qu'il faut mettre en avant", salue-t-il. "Elle refuse de consentir à cela et elle finit, faute d'être appuyée par son directeur spirituel, par aller chercher d'autres appuis". 

 

Les mécanismes de l'emprise

 

L'exemple de Madeleine Guéroult illustre bien le cynisme des frères Philippe dans l'emprise psychologique qu'ils exercent. Ici, Thomas est l'auteur des abus, mais la complicité de son frère de sang et de religion est évidente. Le frère Marie-Dominique "va chercher à les justifier en allant très loin, puisque la femme qui dénonce Thomas Philippe est une femme qui était dirigée spirituellement par lui. Ca, c'est essentiel à comprendre", assure Tangi Cavalin. Avant d'énoncer l'argument essentiel du directeur spirituel : "Le père Thomas Philippe n'est pas n'importe qui, c'est un saint, il est donc au-dessus de la morale et donc, si lui ça lui fait du bien, laissez-vous faire". L'historien rappelle la notoriété du fondateur de l'Eau vive : "Il faut comprendre que Thomas Philippe est quelqu'un d'extrêmement légitime, c'est l'un des plus fameux théologiens de l'Eglise catholique".

 

 


Il y a d'abord un phénomène progressif de repérage des victimes 

 

 

Le chercheur refuse d'assimiler ces agissements à des viols. C'est que l'entreprise est plus sournoise que physiquement brutale. "Dans le système des frères Philippe, on n'agresse pas ça comme cela violemment, l'agression n'est pas violente, jamais", insiste-t-il. 

 

Le choix des cibles est savamment orchestré. "Il y a d'abord tout un phénomène progressif de repérage des victimes qui ont des caractéristiques communes : ce sont en général des religieuses qui ont de hautes aspirations spirituelles", relève-t-il. "Il y a quelque chose de terrible. Ce sont des femmes qui ont des aspirations très élevées, et ce sont ces femmes qui ont des aspirations très élevées qui vont être les premières victimes. Donc l'abus, il est là d'abord, c'est un abus de confiance". Le mécanisme d'emprise, fil rouge de ce travail de vérité.


Tangi Cavalin, "L'Affaire", éditions du Cerf, 29 euros

 

 

©RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
L'Invité de la Matinale
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