Jean Vanier a écrit de nombreux ouvrages de spiritualité. Des textes que les chercheurs sollicités par L'Arche ont étudiés, pour enquêter sur le profil de son fondateur. Quel rapport avait-il à Dieu et à l'Église ? Comment interprétait-il les Écritures saintes ? La théologienne Gwennola Rimbaut décrit une spiritualité attirante mais propice aux abus.
Jean Vanier (1928-2019) a laissé de nombreux écrits, plus d’une trentaine d’ouvrages, essentiellement des essais de spiritualité. Citons par exemple "La Communauté, lieu du pardon et de la fête" (éd. Fleurus / Bellarmin, 1979), "Toute personne est une histoire sacrée" (éd. Plon, 1994) ou encore, publié l’année de sa mort, "Jésus vulnérable" (éd. Salvator, 2019). Le co-fondateur de L’Arche a aussi co-écrit des essais, par exemple avec la philosophe Julia Kristeva "Leur regard perce nos ombres" (éd. Fayard, 2011). Il a aussi participé à la rédaction du manifeste "Tous Intouchables", avec Philippe Pozzo di Borgo et Laurent de Cherisey chez Bayard en 2012).
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Ces textes, les chercheurs sollicités par L’Arche les ont étudiés en profondeur pour comprendre quelle était la spiritualité que proposait Jean Vanier. Avec cette question : cette spiritualité était-elle propice aux abus ? "Il était important de repérer, de travailler, d’analyser de façon assez étroite l’œuvre de Jean Vanier, pour vérifier ce qu’il en est de sa spiritualité", précise la théologienne Gwennola Rimbaut, membre de la commission d’étude créée par L’Arche.
Jean Vanier a une capacité à dire au lecteur : vous êtes en aspiration d’une communion et le Dieu que je vous propose est un Dieu qui propose une véritable communion d’amour
Dans les écrits de Jean Vanier, il y a "d’abord et massivement", décrit la théologienne, "une spiritualité d’alliance avec la personne fragile, vulnérable, et quelque chose de très beau". Il fait entrevoir au lecteur combien Dieu est proche des personnes fragiles, un lien qu’il décrit comme une vraie communion d’amour. "C’est très attirant pour le lecteur", admet Gwennola Rimbaut. Et lui, Jean Vanier, est ainsi perçu comme "le témoin authentique de cette alliance qu’il promeut". D’ailleurs il a consacré sa vie à ces personnes.
L’attention aux personnes fragiles est le message le plus saisissant de Jean Vanier. En lisant ses textes, le lecteur est aussi encouragé à réveiller sa foi. "Il a une capacité à dire au lecteur : vous êtes en aspiration d’une communion et le Dieu que je vous propose est un Dieu qui propose une véritable communion d’amour", observe la théologienne. "Le problème c’est qu’il faut gratter, ajoute-t-elle, aller plus loin que ce premier message qui est très beau et qui a suscité beaucoup de vocations dans L’Arche."
Derrière cette façade, "il y a une spiritualité de communion qui est faussée, estime Gwennola Rimbaut, parce qu’elle extrêmement fusionnelle". Ce pourquoi la théologienne n’hésite pas à dire que c’est "une spiritualité propice aux abus". "Il y a une communion qui est véritablement tendue vers une union nuptiale, pré mystique, basée sur une anthropologie en plus qui vient de Thomas Philippe et qui est elle-même très fusionnelle."
Dans l’union nuptiale, il y a l’idée de "se fondre en", il n’y a "plus de respect de l’altérité, ni de Dieu ni des personnes". "Thomas Philippe comme Jean Vanier essaient de présenter ce modèle de la relation mère enfant comme étant finalement le modèle de toute la vie de communion que devraient vivre les êtres humains... C’est pour ça qu’il y a une espèce de contradiction, quelque chose de très beau au niveau de l’alliance et en même temps quelque chose de dévoyé puisqu’on est tendu vers quelque chose de très fusionnel et qui verticalement est un terreau pour tous les abus."
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Dans ses livres, Jean Vanier évoque très peu l’Église. "Ce silence parle en tant que tel", selon la théologienne. "On sent qu’il n’y a pas de grande proximité développée spirituellement avec l’Église, c’est ça qui est très étonnant." Gwennola Rimbaut précise que dans "Les signes des temps - À la lumière de Vatican II" (éd. Albin Michel, 2012), Jean Vanier parle de "mon Église". C’est "l’un des rares passages de son œuvre où il essaie de manifester une proximité".
Si L’Arche a toujours eu de bonnes relations avec l’Église, du côté de Jean Vanier il y a une forme de duplicité. Celui-ci entretenait en apparence une relation saine et stable avec l’institution - il était en lien étroit avec l’évêque de Beauvais, il était souvent invité à la Conférence des évêques de France. Il a pourtant "transgressé en permanence les injonctions de l’Église", en dépit de son fort attachement au catholicisme.
Dans le même sens, le rapport de Jean Vanier aux Écritures mérite d’être étudié. Dans ses premiers livres, il cite les Écritures et s’appuie sur les textes. Mais les références s’effacent petit à petit, "comme s’il les possédait en lui-même". En fait, la Bible est utilisée comme prétexte pour dire ce que Jean Vanier veut dire, il ne les prend pas dans leur entièreté. "Il ne parle des Écritures qu’à partir de lui-même, de sa propre expérience et de ce qu’il a envie de raconter", considère Gwennola Rimbaut.
Dans ce "déficit de l’intelligence des Écritures", qu'identifie la théologienne, il y a "un défaut d’altérité". "Les Écritures finissent par servir de prétexte à dire ce qu’il a envie de dire mais elles ne sont pas prises en compte dans leur épaisseur même et là aussi c’est un défaut d’altérité." La spécialiste rappelle que "les Écritures saintes, elles résistent, elles ont une puissance et une consistance qui nous interpellent et qui ne font pas que corroborer ce que l’on a envie de dire".
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