Alors que la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) vient de publier sa réponse aux critiques de l’Académie catholique, son président, Jean-Marc Sauvé, prend la parole sur RCF. Se sentant personnellement "agressé", il répond, point par point aux critiques de l'Académie. Il déclare qu'elle "a dans le viseur la Conférence des évêques, la Conférence des religieux et le pape François".
Le 25 novembre dernier, la tribune de huit membres de l’Académie catholique étonnait par sa véhémence, comme un deuxième choc à celui qu’avait provoqué la publication du rapport Sauvé. Des propos très durs critiquant à la fois la véracité des chiffres émis par la Ciase, sa méthode mais aussi son approche théologique, jusqu’à sa légitimité même. Un texte envoyé au pape François, dont certains disent qu’il a été à l’origine du report de la rencontre entre les membres de la Ciase et le pape. Audience prévue pour le 9 décembre et qui, à ce jour, n’a pas été reprogrammée.
Après la publication de ce texte, plusieurs membres de l'Académie catholique avaient démissionné - parmi eux, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le président de la CEF, et Sœur Véronique Margron, présidente de la Corref. Jean-Marc Sauvé, lui, a choisi de rester. Il est donc à ce jour toujours membre de l’Académie catholique. "J’ai choisi d’y rester pour porter le fer à l’intérieur de l’Académie... Ma psychologie est assez simple, je ne suis pas un déserteur, quand on m’agresse comme ça, je résiste."
La Ciase a donc répondu aux critiques de l'Académie catholique. Depuis ce mercredi 9 février, on peut trouver sur son site internet quatre documents qui reprennent, point par point, ce qui est pris pour des attaques : un document de 53 pages, avec sa synthèse, résume le cœur de la réponse ; un rapport d’expertise sur la méthodologie employée pour l’enquête Inserm-Ifop ; une note sur la méthode de l’enquête en population générale par François Héran, professeur au Collège de France et ancien directeur de l’INED (Institut national d'études démographiques).
Des documents qui montrent la détermination de Jean-Marc Sauvé et sa volonté de prendre au sérieux les critiques de l’Académie catholique. "C’est la preuve que nous ne considérons pas que nous sommes infaillibles, la commission entend ces questions et veut y répondre, affirme l’ancien président de la Ciase, on n’écrit pas 50 pages d’explications si l’on ne veut pas convaincre et si l’on n’a pas entendu les interpellations."
Le rapport Sauvé a révélé un chiffre de 330.000 personnes mineures victimes d’abus commis par des prêtres et des laïcs en mission d'Église, entre 1950 et 2020. Les questions de méthodologie sont assez complexes : on peut dire en schématisant que ce chiffre a été interprété à partir d’un échantillon représentatif. Les huit membres de l’Académie catholique s'estimaient "en droit de s’interroger sur la méthodologie de l’enquête quantitative".
Des chiffres surévalués ? "C’est totalement faux, répond le président de la Ciase, ces chiffres ont été contestés parce qu’ils dérangeaient et pas parce qu’ils étaient faux." Les expertises des cinq inspecteurs généraux (Aliocha Accardo, Pascal Ardilly, Gwennaëlle Brilhault, Stéfan Lollivier et Guillaume Mordant) et la note de François Héran "contredisent formellement l’idée que le phénomène mesuré par l’enquête porte sur des effectifs trop faibles pour pouvoir être extrapolés", répond Jean-Marc Sauvé. "Elles saluent le sérieux des précautions de méthodes prises et déclarées par l’Inserm."
Pour Jean-Marc Sauvé, ces chiffres n’ont pas été surévalués, au contraire. "Plusieurs éléments permettent de penser que nos résultats sont sous-évalués." Si, en France, on considère que 0,7% de la population de plus de 40 ans a été sexuellement abusée, aux Pays-Bas, le chiffre avancé est de 1,7%...
C’est là "le seul point sur lequel, à l’heure qu’il est, les auteurs de la tribune reconnaissent qu’ils ont pu avoir tort", nous dit Jean-Marc Sauvé. On se souvient des propos de Pierre Manent, membre de l’Académie catholique, qui avait qualifié le 8 décembre dernier de "faute majeure" de la part des évêques, le fait d’avoir reconnu le caractère systémique des abus.
"L’Académie catholique n’a pas voulu comprendre ce que j’ai dit et répété en octobre et novembre, soutient Jean-Marc Sauvé, nous ne disons pas que l’institution aurait délibérément et systématiquement organisé un système d’abus sexuels à grande échelle. Nous disons simplement que l’institution, lorsqu’elle a eu connaissance d’un nombre récurrent d’’abus en son sein, s’est généralement abstenue de prendre les mesures nécessaires pour les traiter de manière adéquate et donc d’y mettre fin et de les prévenir." Ainsi, ce terme de "systémique" met-il en cause "une passivité, une passivité prolongée", "une négligence, une défaillance, un défaut de vigilance".
"L’Église en tant qu’institution n’a pas de statut juridique", déclarait sur RCF Philippe Capelle-Dumont, prêtre et président d’honneur de l'Académie catholique de France. Pour lui, "demander à l’Église de payer, d’indemniser en tant qu’institution, cela pose un problème de droit". Des "arguments juridiques qui touchent à l’argutie et au sophisme", critique Jean-Marc Sauvé. Il déclare : "Juridiquement, tout cela n’est absolument pas établi en droit interne français." Par ailleurs, ils sont "totalement incompatibles avec ce qu’ont décidé toutes les conférences épiscopales dans le monde" - il cite les cas de l’Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Australie, de l’Irlande et des États-Unis.
Pour l’Académie catholique, c’est aux auteurs des abus et éventuellement aux responsables qui les ont protégés, d’indemniser les victimes. Mais pour Jean-Marc Sauvé, ces considérations d'ordre juridiques sont, de toutes les critiques de l’Académie, "ce qu’il y a de plus choquant". "Officiellement, l’Académie catholique exprime de la sollicitude de la bienveillance à l'égard des victimes, mais il est parfaitement clair pour elle que l’Église ne doit rien à personne", dénonce Jean-Marc Sauvé. Or, dans son motu proprio "Vous êtes la lumière du monde" (Vos estis lux mundi, du 7 mai 2019), le pape François "enjoint l’Église de réparer les conséquences dommageables en particulier sur le plan de la santé", précise l'ancien président de la Ciase.
La Ciase n’est pas une commission d’adversaires de l’Église
La remise en cause de la légitimité de la Ciase par l’Académie catholique est, pour Jean-Marc Sauvé, une attaque contre les évêques de France eux-mêmes. "Vous savez, l’Académie catholique, elle a clairement dans le viseur la Conférence des évêques, la Conférence des religieux, et très clairement aussi, sur des points majeurs, le pape et le pape François, dont les directives en matière de réparations sont niées et passées sous silence, dont les remarques sur l’auto-référentialité, le cléricalisme, l’entre soi, sont totalement négligées. Et dont aussi les remarques par exemple sur l’abus d’autorité liées au sacerdoce, sur la confusion entre la puissance sacramentelle et le pouvoir sont totalement négligées."
Si pour l’Académie catholique, la CEF et la Corref n’auraient pas dû faire appel à une commission indépendante, la Ciase "n’est pas une commission d’adversaires de l’Église", souligne Jean-Marc Sauvé. Mais pour l’Académie catholique "seule l’Église détient vérité sur elle-même, seuls les clercs peuvent dire ce qui s’est passé ou mal passé", observe l’ancien président de la Ciase.
"Ce que je voudrais vraiment dire, conclut-il, c’est que l’Académie catholique me fait terriblement penser à ce que Goethe écrit dans Faust, et c’est la parole de Méphisto : « Je suis l’esprit qui toujours nie »… Car les chiffres que nous avons présentés, les explications très longues très fournies et irréfutables, que nous avons présentées, sont toujours niées."
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