Permettre aux victimes d'abus sexuels de se reconstruire, responsabiliser les auteurs, freiner la récidive de leurs actes, la justice restaurative a pour but d'apporter une réponse complémentaire à la réponse pénale. Dans son rapport annuel, dévoilé jeudi dernier, l’Inirr, l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des victimes d’abus sexuels dans l’Église prône la réparation « restaurative ». Guilhem Causse, philosophe et aumônier pénitentiaire, membre de l’association Justice Autrement nous éclaire sur cette démarche.
Les évêques de France entament ce mardi 19 mars 2024 à Lourdes leur assemblée plénière de Printemps. Au menu des discussions, les questions sur les abus sexuels dans l'Église. Dans son rapport annuel, dévoilé jeudi 14 mars 2024, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des victimes d’abus sexuels dans l’Église a révélé que 571 victimes ont été indemnisées depuis sa création il y a deux ans. Dans son rapport, l'Inirr met aussi en avant l'intérêt de la réparation « restaurative ».
Accompagner les victimes d’abus sexuels et spirituels mais aussi les auteurs de ces abus grâce à la justice restaurative : c'est l’objectif de l’association Justice Autrement créée en 2022 par Thérèse de Villette, Xavière et criminologue. Une justice qui se veut complémentaire de la justice pénale. “La justice pénale s'intéresse à une infraction, un délit ou un crime et va appliquer une sanction“, explique le jésuite Guilhem Causse, philosophe et aumônier pénitentiaire, membre de l’association Justice Autrement. “Par rapport à ce délit ou ce crime”, ajoute t’il, “cette sanction va s'appliquer à l'auteur, l'agresseur".
La justice restaurative va s'adresser en particulier aux personnes victimes, plus largement à cette question du tissu social qui a été déchiré par une violence, par un délit, par un crime, va écouter les besoins que ce crime a engendré du côté des personnes victimes, du côté de la communauté qui a été lésée par ce crime et aussi du côté des auteurs.
Le principal point à travailler avec les auteurs d'abus sexuels, c'est la sortie du déni.
Guilhem Causse reconnaît que "quasiment tous les auteurs de crimes, notamment de crimes sexuels sont, au départ, dans le déni. Le jésuite ajoute : "ils ne reconnaissent pas ce qu'ils ont fait. Ces processus aident donc les auteurs qui le souhaitent à retrouver un sens de leur propre dignité, un sens de ce qu'ils ont fait, et de découvrir peu à peu les conséquences de ce qu'ils ont fait pour les personnes à qui ils l'ont fait, et ce processus les aide à gagner en responsabilisation”.
Permettre aux victimes de se reconstruire, responsabiliser les auteurs, freiner la récidive de leurs actes, la justice restaurative ouvre d’autres voies de réparation car elle ne se limite pas à une indemnisation financière. “Certaines victimes disent que la dimension financière a été importante pour elles, c’est un des éléments de la réparation," précise Guilhem Causse. “D'autres éléments de la réparation sont tout aussi importants”, avance-t-il. “Pour certains, le fait d'avoir été écouté avec empathie, ça fait partie de la réparation. Pour d'autres encore, c'est d'avoir une plaque apposée quelque part. Certains souhaitent que l'évêque de leur diocèse reconnaisse les faits. Chaque personne va demander ce dont elle a besoin. C’est important de pouvoir offrir ces possibilités aussi pour que les personnes qui le désirent puissent s'en saisir”.
Parmi les exemples concrets de mise en œuvre de cette justice restaurative, des rencontres organisées entre les auteurs et les victimes, notamment dans le cadre de crimes sexuels dans l'Eglise. "Le but recherché, c'est véritablement de permettre à ces différentes personnes de devenir acteurs, actrices du processus de réparation, explique-t-il. Un processus qui doit conduire à une transformation des personnes et à "une réparation du lien social".
Pour mener à bien ce travail de réparation, Guilhem Causse plaide donc pour la mise en œuvre de la justice réparatrice mais aussi pour une meilleure prise en charge des auteurs d’abus sexuels, un sujet qui reste encore un angle mort dans l’Eglise. "Pour l'instant, il n'y a aucune politique concertée dans l'Église, en France en tous les cas, reconnaît le jésuite, en dénonçant le fait que le sort d'un prêtre ayant commis des crimes sexuels ne repose que sur la responsabilité d'un évêque.
À l'instar de la création d'instances pour les victimes d'abus sexuels, le jésuite estime qu'il "serait important aujourd'hui de créer des instances et des structures communes pour la prise en charge des auteurs". Cela permettrait de mieux prévenir de nouveaux abus, car les mettre à l'écart dans un EHPAD ou dans une bibliothèque, "ne suffit pas vraiment", d'après Guilhem Causse.
Il serait important aujourd'hui de créer des instances et des structures communes pour la prise en charge des auteurs.
Il pointe une autre question, celle du statut des prêtres et de leur suivi. "S'ils ne gardent pas leur statut de prêtre, est-ce qu'ils restent dans le giron de l'Église pour que l'Église garde un regard sur eux ou pas ?", s'interroge-t-il. Autant de questions qui doivent être posées pour avancer selon lui. Dans le cadre de l’assemblée plénière à Lourdes, les évêques de France consacreront plusieurs séances à la question des abus dans l'Église. Une session sera aussi consacrée au rapport du Tribunal pénal canonique.
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