Marseille
Des rites de moins en moins présents, des traumatismes liés au Covid, des cimetières virtuels avec des QR codes, des discussions avec des défunts grâce à l’intelligence artificielle… Autant d'éléments qui ont modifié notre rapport aux défunts que nous vous proposons d’explorer avec le Père Jean-François Meuriot, directeur de Institut de sciences et théologie des religions (ISTR) à Marseille et membre de l’Observatoire des nouvelles croyances à la conférence des évêques de France.
Face à “la dislocation de la matrice catholique”, l’Église n’a désormais plus le monopole de l’accompagnement des funérailles et les cérémonies civiles grignotent de plus en plus la place autrefois dévolue aux enterrements religieux.
Un autre constat flagrant se fait jour, celui de “l'expulsion de la mort du champ social”, ces dernières décennies, comme si elle ne devait pas ou ne pouvait pas arriver. On met un voile dessus et surtout pas question d’en parler de peur d’être contaminé !
Or, les conflits en Ukraine et au Proche-Orient déchirent ce voile et débusquent la mort, de la place profane où la société occidentale voulait la reléguer. Elle revient en boomerang sur nos écrans de manière violente. Effroi, sidération et désarroi nous submergent et s’ajoutent aux traumatismes vécus pendant le Covid, par de nombreuses familles endeuillées, privées de voir le défunt et d'assister aux funérailles. Double peine pour ces familles empêchées d’avoir pu dire “adieu” à leurs proches disparus, préalable essentiel au commencement d’un chemin de deuil.
Voir le défunt, participer à une cérémonie, l’accompagner dans sa dernière demeure, fleurir ensuite sa tombe… Tout ce rituel, s’il évolue au cours des différentes périodes de l’Histoire, est important et revêt une “véritable efficacité” car il permet au défunt de passer à un autre statut, un autre monde et pour les vivants, de reprendre le cours de leur vie et leurs activités sociales.
Les défunts ne quittent pas la sphère sociale et restent, selon le Père Meuriot, des “êtres sociaux à part entière”. Le lien n’est pas rompu par la mort mais perdure grâce à la prière et à l’amour porté aux défunts. Dans l’Eglise catholique, on parle de “la communion des saints”, perçue comme “une solidarité entre les vivants et les morts”. Un lien de prière et d’amour se maintient avec la personne disparue.
La communion des saints se résume par une certaine “réciprocité de prières”. Il y a l’idée de “prier pour les défunts pour qu’ils aillent auprès de Dieu et puis aussi cette croyance qu’en retour, ceux qui sont auprès de Dieu, peuvent intercéder pour les vivants qui sont encore sur la terre”.
L’ascension de l’intelligence artificielle et les progrès des nouvelles technologies bouleversent depuis quelques années le marché du funéraire. La mort 2.0. Ce sont des cimetières numériques avec QR Code pour connaître l’histoire du défunt et ses dernières volontés. Ce sont des obsèques célébrées en visio ou des funérailles d’avatars dans les jeux vidéo.
Certaines entreprises proposent d’envoyer des messages post mortem aux proches et le développement de l’intelligence artificielle peut permettre de poursuivre le dialogue avec une personne décédée en reproduisant des intonations de voix…
Sur Facebook, sur 1,9 milliard d’utilisateurs à travers le monde, près de 10 000 décèdent chaque jour. En 2070, il pourrait y avoir plus de profils de personnes décédées que de personnes vivantes. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Facebook serait alors le plus grand cimetière numérique du monde…
Tout cela pose des questions quant à l'implication émotionnelle lorsqu’on entretient “une relation comme si elle était du même ordre que du vivant”, s’inquiète Jean-François Meuriot. L’intelligence artificielle enferme dans une relation passée et peut empêcher les vivants de vivre leur “vie classique”.
Cette évolution rappelle l’importance de conserver les rituels qui permettent de prendre conscience du passage qu’est la mort, et pour ceux qui restent de rejoindre “l’itinéraire du peuple des vivants”. Après tout, on n’a pas encore inventé le GPS qui conduit dans “l’au-delà”, mieux vaut rester en lieu sûr.
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