Le dominicain Jean-Paul Vesco sera créé cardinal le 8 décembre prochain. Archevêque d’Alger depuis 2022, ce Français est étroitement lié au pays dont il a pris la nationalité en février 2023. "Pour moi c’est extraordinairement important. Ce n’est pas un nouveau cardinal français, c’est un nouveau cardinal algérien qui est créé."
Quand un évêque est créé cardinal, ce n’est plus seulement l’Église locale qu’il représente mais toute l’Église catholique. Il peut porter des sujets au plus haut niveau de l’institution et, si l’âge le lui permet, élire le futur pape… voire être lui-même élu pape ! Quels sujets porte Mgr Jean-Paul Vesco, lui qui se dit "bergoglien jusqu’au bout des ongles" ? Comment cet évêque algérien voit-il l’Église de demain ?
Mgr Jean-Paul Vesco sera créé cardinal en même temps qu’un autre dominicain qu’il connaît bien, le britannique Timothy Radcliffe. "Il était maître de l’ordre quand il était novice. Pour moi c’est une lumière, quelqu’un pour qui j’ai une profonde admiration." Également dans la même promotion, l’archevêque de Lima Carlos Castillo Mattasoglio, "un proche de Gustavo Gutierrez, père de la théologie de la libération", salue Mgr Vesco. Iran, Indonésie, Côte d’Ivoire, Japon ou Philippines, les vingt-et-un nouveaux cardinaux viennent des quatre coins du monde.
Mgr Vesco illustre bien cette diversité. Né en France, de nationalité française, il a obtenu la nationalité algérienne en février 2023. "C’est en tant qu’évêque algérien que je suis créé cardinal, précise-t-il, parce que je le suis en tant que pasteur de cette Église. Pour moi c’est extraordinairement important. Ce n’est pas un nouveau cardinal français, c’est un nouveau cardinal algérien qui est créé."
La diversité du Sacré collège n’est pas nouvelle. Le pape François nomme depuis une dizaine d’années des cardinaux de pays et de continents différents. Cette "diversité stupéfiante" est "un signe fort", selon Mgr Vesco, celui d’une "beaucoup plus grande universalité qui est prise en compte". Pour les observateurs de la vie vaticane, il n’échappe pas que beaucoup sont des cardinaux bergogliens, qui pèseront sur l’élection du prochain pape. À 62 ans, Mgr Vesco va faire partie des cardinaux électeurs. "Je ne sais pas ce que ça va donner dans le futur, nous dit l’archevêque d’Alger, si cette énorme diversité qui est inédite va modifier la vocation du collège des cardinaux et sa place dans l’Église universelle. L’avenir seul le dira !"
En tant que cardinal, Jean-Paul Vesco ne représente plus seulement l’Église d’Algérie mais l’institution vaticane. Il va aussi pouvoir porter des sujets au Vatican. "Il y a bien sûr la dimension de l’Église d’Algérie et aussi le combat d’un épiscopat jusqu’à maintenant : la question des divorcés remariés." L’archevêque d’Alger, auteur en 2015 d’un plaidoyer sur le sujet - "Tout amour véritable est indissoluble" (éd. Cerf) - trouve "impensable" que "l’Église puisse continuer à dire que toute personne divorcée remariée est adultère".
Le futur cardinal est aussi convaincu que "ça change tout" quand il y a parité entre hommes et femmes, entre laïcs et non laïcs, dans les instances ecclésiales - ce qu’il a pu expérimenter dans son propre diocèse. Pour lui, "la femme est sans cesse pensée en terme de complémentarité avec l’homme, elle doit être aussi pensée en terme d’altérité". D’ailleurs, il approuve la volonté du pape François de "changer le rapport de l’Église au monde". "Je ne connais pas le pape François, confie-t-il, on s’est vus quelques fois, je ne suis pas un proche du pape François mais je suis vraiment jusqu’au bout des ongles un évêque bergoglien, ça oui !"
En Algérie, l’annonce du nouveau cardinal a fait peu de bruit. Dans un pays dont la religion principale n’est pas le catholicisme, cela ne surprend pas. Pourtant, un archevêque d’Alger franco-algérien qui devient cardinal, cela pourrait peut-être contribuer d’une façon ou d’une autre à améliorer les liens entre la France et l’Algérie. En tout cas, "je souffre, dit-il, de voir les relations politiques entre la France et l’Algérie se déliter année après année... Je souffre que l’on n’ait pas pu arriver soixante ans après l’indépendance du pays à être entré véritablement en fraternité. Alors pour moi, c’est une déchirure intérieure. C’est une déchirure intérieure."
Entré chez les dominicains en 1996, Jean-Paul Vesco marche dans les pas d’éminentes figures spirituelles françaises de l’Église d’Algérie. Cet ancien avocat d’affaires ordonné prêtre à l’âge de 39 ans a été envoyé à Tlemcen en 2002, six ans après l’assassinat de l’évêque d’Oran Mgr Pierre Claverie. Avant lui, un autre dominicain, Henri Teissier, a aussi été évêque d'Oran (1972-1980) et archevêque d'Alger (1988-2008). Il y a eu aussi Léon-Étienne Duval (1903-1996), un Français devenu franco-algérien, nommé archevêque d’Alger puis créé cardinal par le pape Paul VI.
L’archevêque d’Alger aurait pu être d’une autre nationalité que française. Mgr Vesco ne renie pas ni sa "culture" ni son "héritage" ni sa "nationalité". "Cela fait partie de ma vocation, en tant qu’archevêque, puisque je suis français" de "travailler la fraternité entre les peuples et entre les pays et évidemment entre les religions".
Pierre Claverie disait : Nul ne possède Dieu, nul ne possède la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres. C’est ce qui m’anime
Jean-Paul Vesco était évêque d’Oran quand, en 2018, les dix-neuf martyrs d’Algérie ont été béatifiés - il précise que ce ne sont pas les seules victimes de la guerre civile : durant la décennie noire, "tout le monde était menacé", y compris les musulmans. Aujourd’hui, la réalité de l’Église d’Algérie a bien changé. "Eux n’avait quasiment pas de fidèles. Nous avons des fidèles : ça, c’est une très grosse différence. Avec la question du pourquoi : Pourquoi est-ce qu’on est là ? Qu’est-ce qu’on fait ?"
S’il était question d’évangéliser - un mot "piégé", selon l’archevêque - ce serait en témoignant "que l’on peut vivre en frères et sœurs en étant de religions différentes". "Même si le Christ, est le chemin, la vérité et la vie, je n’ai pas le dernier mot sur Dieu. Pierre Claverie disait : Nul ne possède Dieu, nul ne possède la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres. C’est ce qui m’anime." Jean-Paul Vesco se voit comme le pasteur d’une "Église diaconale, une Église de service, et c’est par ce service qu’elle témoigne de l’Évangile".
"Je veux vivre et donner envie de vivre." La devise épiscopale de Mgr Vesco lui vient "de deux sœurs blanches, qui, dans les années 90, 2000 allaient de village en village dans le sud algérien". "Quand j’étais évêque, raconte-t-il, ça disait quelque chose de cette Église qui voulait vivre, c’est-à-dire ne pas se cacher, qui voulait vivre pleinement. Et qui voulait aussi partager sa foi au sens de partager son espérance, dans un monde où il est parfois difficile de vivre. Cette devise, elle nous a fait avancer."
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