"Un roi sans divertissement est un homme plein de misères", écrivait Pascal quatre siècles avant nous. Le plus affairé des hommes a besoin de s'aérer l'esprit pour éviter de penser à la mort qui le guette. L'essayiste Olivier Babeau analyse le divertissement sous toutes ses coutures, et avertit du danger qu'il représente lorsqu'il est mal employé.
Jamais nous n'avons si mal usé de notre temps libre qu'à l'époque où nous en avons le plus. "Le temps libre est un défi redoutable que l'on n'a pas vu, considère Olivier Babeau, président de l'Institut Sapiens et auteur d'un essai consacré à ce sujet selon lui sous-traité*. On ne le problématise pas, on n'a pas pensé la façon dont on l'occupe, mais en réalité c'est un défi considérable. Il faut encore plus d'efforts pour réussir ses loisirs qu'il n'en faut sans doute pour réussir son travail", ose-t-il, toute contre-intuitive que puisse paraître cette assertion.
Il faut encore plus d'efforts pour réussir ses loisirs qu'il n'en faut sans doute pour réussir son travail
Le cofondateur du think tank libéral dissèque le rapport spécifique de chaque époque au divertissement. "Au XVIIIe siècle, le but dans la vie de la plupart des gens était d'aller auprès de Dieu. La vie était une épreuve dans un monde qui était dur", retrace Olivier Babeau, avant de faire un saut de deux siècles. "À partir des Trente Glorieuses, on s'est dit que le sens de la vie était le confort ici maintenant, et de fait il y a eu une progression objective du confort". Quelques décennies plus tard, "on est dans ce que j'appellerais une société post-consumériste, on se rend compte que la consommation ne suffit pas à donner un sens. On se tourne donc vers le divertissement dont parlait déjà Pascal". Ce d'autant plus que "le progrès technique a entraîné une disparition de tous les métiers extrêmement pénibles. On ne s'imagine pas combien, il y a deux siècles, 90% des métiers vous brisaient le corps, souligne-t-il. Aujourd'hui, on travaille 12% de sa vie éveillée quand on fait une carrière aux 35 heures et que l'on vit 85 ans".
Pour Olivier Babeau, l'enjeu est de "mettre le plaisir à distance", à travers, par exemple, la pratique laborieuse d'un art. Laquelle offre un plaisir différé, mais bien plus riche que la satisfaction immédiate procurée par le "loisir-divertissement, le loisir le plus facile". "Travailler un instrument de musique fait souffrir pendant un moment mais, au bout de quelques années, vous avez accès à une qualité de plaisir extraordinaire", illustre-t-il. Hélas, dans un monde marqué par l'embarras d'un choix infini, la tentation du plaisir instantané prend souvent le pas sur les options plus constructives. "Il est très dur, dans notre monde égalitariste, de hiérarchiser les occupations, note l'essayiste. D'être capable de dire : telle occupation a plus de valeur que telle autre".
Et le travail, dans tout ça ? Ces derniers mois, le débat chaotique sur la réforme des retraites a révélé les mutations profondes des Français dans leur relation au travail. Épidémie de paresse ? "Épidémie d'absence de passion, rétorque Olivier Babeau, qui pense qu'une vie sans flamme est une existence pleine de misères. Le drame de notre époque, c'est sans doute qu'il s'agit d'un drame sans passion. L'une de mes grandes attaques contre le divertissement, c'est justement que c'est une activité dépassionnée. Enervée au sens XVIIIe siècle, c'est-à-dire qu'elle n'a plus de nerfs". Remettre l'envie au cœur de l'instruction, voilà un enjeu fondamental. "Je pense que l'école devrait transmettre la libido sciendi, cette curiosité de savoir", défend-t-il. Et de citer Montaigne : "Éduquer, ce n'est pas remplir un vase mais allumer un feu".
*Olivier Babeau, La tyrannie du divertissement, Buchet-Chastel, 2023, 21,50 euros
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