Comment construire sa vie d’adulte après avoir été victime, enfant, d’abus sexuels de la part d’un prêtre ? C’est le thème de la pièce de théâtre Pardon ?. Après avoir été invitée à Chambéry l'an passé, elle est jouée à Thonon-les-Bains, La Roche-sur-Foron et Annecy, du 25 au 27 mars 2025. Entretien avec l'auteur-interprète Laurent Martinez, qui a connu ce traumatisme.
RCF : C'est votre viol et ses conséquences, que vous racontez dans Pardon ?. Une pièce que vous interprétez avec trois autres comédiens. Ce n'est pas trop pesant de revenir sur ce traumatisme, représentation après représentation ?
Laurent Martinez : "Au début, ça a été difficile, effectivement. On a joué la pièce plus de 80 fois, depuis le festival d'Avignon en 2019. Au fil des représentations, j'ai appris à prendre de la distance. Je distille l'authenticité de mon vécu, tout en restant un acteur. Ce processus n'est pas seulement cathartique pour moi, il l’est aussi pour le public. Beaucoup de spectateurs, victimes ou aidants, me confient qu'ils ont retrouvé des morceaux de leur propre vie dans ce que je raconte. À la fin de chaque représentation, il y a un échange avec le public, qui permet de briser le silence et de commencer à avancer."
La pièce ne propose pas de solutions.
Elle brise des tabous et pose des questions
La pièce est-elle accessible à un public plus large, y compris aux jeunes, pour sensibiliser à la pédocriminalité et à ses conséquences ?
"Pardon ? est destinée à tous, et j’encourage les jeunes à venir, à partir de 15 ans. C’est un spectacle qui permet d’interroger ce qu’est la pédocriminalité, mais aussi comment une victime peut reconstruire sa vie après un tel traumatisme. Bien que la pièce traite d’une expérience personnelle, elle s’adresse à tous, y compris à ceux qui n'ont pas été directement touchés. La prévention commence très tôt et le théâtre peut en être un outil puissant."
Pouvez-vous nous expliquer ce titre, "Pardon ?" ?
"Le point d'interrogation est fondamental. La pièce ne propose pas de solutions. Elle brise des tabous et pose des questions. Et le pardon en est la question centrale. Est-ce que l’on peut pardonner l’Église pour son silence sur ces crimes ? Est-ce que l'on peut pardonner à l’agresseur ? Et surtout, est-ce qu’on peut se pardonner soi-même ? Car bien souvent, la victime se sent coupable de ce qui lui est arrivé. Il faut engager un travail pour se libérer de cette culpabilité."
Ce qui m'intéresse, c'est de travailler avec les personnes qui veulent faire bouger les choses dans l'Église
Vous avez joué cette pièce à Chambéry l’an dernier, sur invitation de l'Église catholique. Cette année, c'est le diocèse d'Annecy qui vous invite. Quel est votre rapport à l’Église, depuis la parution du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels (la Ciase) ?
"J’ai perdu ma foi après avoir été victime. Dans la pièce, il y a une religieuse qui tente de faire bouger l’institution et un prêtre très conservateur. Je pense que l'Église en est là : il y a encore du déni. Ma pièce participe à la prévention et à la sensibilisation. Je ne déplace pas les montagnes, mais je fais ma part. Et ce qui m'intéresse, c'est de travailler avec les personnes de l'Église qui sont convaincues qu'il faut faire avancer les choses. C'est le cas de Mgr Le Saux, avec son invitation à venir jouer en Haute-Savoie cette semaine. Je suis invité ensuite à Lourdes, à la Conférence des évêques de France, qui va faire un bilan depuis le rapport de la Ciase : j'y vais ! Tant d'affaires sortent encore... La justice doit les prendre au sérieux. Nous n’en sommes qu’au sommet de l’iceberg."
Trois représentations gratuites, à 20h : le 25 mars à Thonon-les-Bains (auditorium du lycée Saint-Joseph),
le 26 mars à La Roche-sur-Foron (auditorium du collège Sainte-Marie), le 27 mars à Annecy (auditorium du lycée des Bressis). Plus de détails et inscriptions sur le site du diocèse d'Annecy.
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