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Réforme des retraites : le dialogue social passe-t-il forcément par un rapport de force en France ? 

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 16 janvier 2023 - Modifié le 19 janvier 2023

La réforme des retraites conduit une nouvelle fois à une mobilisation sociale et à une union syndicale. Des mois de consultations mis en avant par l'exécutif n'auront pas suffit a éviter le bras de fer. Le dialogue social passe-t-il forcément par un rapport de force en France ? 

Manifestation contre la réforme des retraites en janvier 2020 / Photographie Amaury Cornu by Hans Lucas Manifestation contre la réforme des retraites en janvier 2020 / Photographie Amaury Cornu by Hans Lucas

C’est le sujet qui cristallise les tensions et qui réunit ces dernières années le plus de monde dans la rue : la réforme des retraites. Après des mois de discussions avec le patronat et les partenaires sociaux, le gouvernement a présenté en plan de réforme qui prévoit notamment le recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Sans surprise, les syndicats font front uni pour demander une mobilisation massive. La première a lieu le 19 janvier. Cette issue, était-elle inévitable ? Sur un sujet qu’on sait explosif, comment expliquer que notre dialogue social conduise à ce type de rapport de force ? Nous en discutons avec Stéphane Sirot, historien et spécialiste de la sociologie des grèves ainsi que du syndicalisme

 

Après des mois de concertation sur la réforme des retraites, nous sommes maintenant entrés dans le temps du rapport de force avec des grèves et une contestation prévue dans la rue. Ce bras de fer final est-il une norme dans le dialogue social en France ?

 

Stéphane Sirot : Il faut distinguer deux niveaux aujourd'hui. Celui des entreprises où, depuis 40 ans, on voit monter en puissance la signature d'accords collectifs avec les représentations syndicales et salariales, suite notamment à des injonctions de l'État qui obligent à négocier sur toute une série de sujets. Actuellement, il y a plus de dialogue social dans les entreprises qu'il n'y en avait il y a une quarantaine d'années.

 

 

On parle beaucoup de consultation, de concertation parfois, mais jamais négociation

 

 

En revanche, au niveau de l'État, ce n'est pas du tout le cas. Emmanuel Macron lui-même l'a plus ou moins théorisé en disant que les politiques publiques, les politiques de l'État relèvent de la décision gouvernementale, de la décision des dirigeants politiques et que le rôle des organisations syndicales doit rester campé à l'intérieur du cadre des entreprises, qu'elles n'ont pas vraiment à se mêler de l'élaboration des politiques publiques. D'ailleurs, sur la question des retraites aujourd'hui, le gouvernement fait attention à ne pas utiliser le terme de négociation. On parle beaucoup de consultation, de concertation parfois, mais jamais négociation.

 

Ces termes-là ne renferment pas la même chose. Négocier, cela signifie que vous vous réunissez autour d'une table avec l'ensemble des acteurs concernés et que vous recherchez un compromis qui va intégrer obligatoirement un certain nombre de demandes de chacun des acteurs. A l'inverse, avec la consultation vous convoquez des interlocuteurs pour prendre leur avis et ensuite vous qui tranchez tout seul. Ce n'est pas du tout la même perspective. En France, c'est la pratique du pouvoir politique depuis très longtemps.

 

Donc il y a un manque de culture de la négociation en France qui s'ajoute à une vision très verticale du pouvoir d'Emmanuel Macron ? 

 

On pourrait remonter à la Révolution française. Les racines sont là. C'est là que se construit un système politique et social dans lequel le pouvoir politique, la démocratie politique estiment être supérieure à la démocratie sociale. Et nous sommes toujours dans ce cadre-là aujourd'hui. Il y a très peu d'exceptions.

 

 

En France, c'est l'État qui construit et qui fabrique le droit social 

 

 

Parmi elles, on peut noter le début du quinquennat de François Hollande, lorsqu'il avait cherché à développer une pratique qui tendait à faire des organisations syndicales des co-législateurs en quelque sorte. Ce qu'on appelle traditionnellement une co-construction. En 2013 par exemple, il y a eu la loi de sécurisation des parcours professionnels, qui était issue d'une négociation collective. Il y a donc des exceptions mais ce sont des parenthèses. 

 

À l'étranger nous avons l'image d'un peuple contestataire. Chez nos voisins par exemple, le dialogue social n'est pas le même ? 

 

Nos voisins ont des dispositifs de dialogue social qui sont globalement plus riches que les nôtres. Mais il y a également une autre particularité française : le rôle éminent de l'État. Dans notre pays, c'est l'État qui construit, qui fabrique le droit social. Ce sont les institutions, le Parlement, le gouvernement. Donc évidemment, les pouvoirs publics sont très régulièrement interpellés, puisque ce sont eux qui font la loi.

 

À l'inverse, en Allemagne ou en Angleterre le droit social ne résulte pas de la loi, mais plutôt de la négociation collective avec des systèmes qui du coup ne sont pas du tout les mêmes. La situation en France des relations sociales entre l'État et les syndicats résultent du panorama politique des institutions qui sont les nôtres.

 

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