
Avec sa vidéo générée par l'IA de Gaza transformée en Riviera, Donald Trump vient à nouveau de susciter de vives réactions dans le monde entier. Est-ce une énième provocation ? Le président des États-Unis est-il en train de changer la donne dans les relations internationales et d'instaurer la loi du plus fort ? À moins que ce soit une "stratégie du fou" destinée à faire peur.
Indécente, surréaliste, provocatrice… La vidéo publiée ce mercredi 26 février sur son compte Instagram par Donald Trump a suscité de vives réactions dans le monde entier. Rapidement devenues virales, ces images générées par l’intelligence artificielle dévoilent ce que serait Gaza transformée en Riviera. L’illustration de ce que serait la "Côte d’Azur du Moyen-Orient" : rien que la formule avait déjà fait réagir. Elle avait été lancée par Trump le 4 février dernier, lors de sa conférence de presse au côté de Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien.
On avait beau connaître le personnage, Donald Trump ne cesse de nous sidérer par ses annonces. Sur la scène internationale, il rompt avec le langage habituel de la diplomatie. Il multiple les menaces de guerre économique et affiche des ambitions de conquête de territoires - Groenland, Canada ou encore Panama. Tout cela face à une communauté internationale qui semble aussi abasourdie qu’impuissante. Trump est-il en train de changer la donne ? Faut-il croire à ses effets d’annonce ?
Le podcast Pas si simple, co-produit par le Jour du Seigneur, RCF et les Semaines sociales de France (SSF), donne la parole à Sylvie Bermann, ancienne ambassadeur de France en Chine, en Grande-Bretagne et en Russie, trois pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle connaît la mécanique des relations diplomatique, leurs dessous et leurs faux semblants. De quoi jauger l’effet Trump.
"Maintenant, Trump fait ce qu’il veut." Ce n'était pas exactement le cas lors de son premier mandat (2017-2021). "Il avait annoncé un certain nombre de choses et il n’était pas en mesure de les mettre à exécution parce qu’il n’avait pas d’équipe à lui", rappelle Sylvie Bermann. Et aussi, "il y avait ce qu’on appelle les adultes dans la pièce qui veillaient à ce que les choses ne débordent pas". Sans oublier les soupçons d’ingérence russe qui pesaient sur sa légitimité.
Cette fois, le 47e président des États-Unis "a eu le temps de préparer, de constituer des équipes avant d’arriver au pouvoir." Sylvie Bermann souligne qu’il a été "encore mieux élu" qu’en 2017, avec la majorité absolue à la Chambre des représentants. "Aujourd’hui, il peut faire ce qu’il a vraiment en tête."
Mais qu’a en tête Donald Trump ? Il aime se présenter avant tout comme un homme d’affaires - il n’y a qu’à se référer à son livre paru en 1987, "The Art of the Deal". "Toutes ses annonces c’est du chantage, décrit Sylvie Bermann, c’est du bluff et il pense qu’il en restera quelque chose."
"Nous sommes entrés dans une époque qui voit le retour de la loi du plus fort", a déclaré Jean-Noël Barrot, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères le 8 janvier 2025 sur France inter. Si cette loi du plus fort modifie le rapport de force international, Trump ne l’a pas inventée. "La loi du plus fort, c’était un peu la loi de Poutine par rapport à l’Ukraine, qui était condamné par les démocraties, nous dit Sylvie Bermann. Et aujourd’hui c’est la loi du 47e président des États-Unis."
En tout cas, Trump est intervenu en Israël avec un certain succès il faut bien le reconnaître. "Je considère qu’il a eu sur l’Ukraine et le Moyen-Orient des discours performatifs, c’est-à-dire qu’il a créé en réalité ce qu’il annonçait. Il y a eu une mise en demeure aux Israéliens et au Hamas pour qu’il y ait un cessez-le-feu et une libération d’otages avant son investiture et c’est ce qui s’est passé. Et on se souvient que lors du premier mandat il y a quand même eu une réussite diplomatique qui étaient les accords d’Abraham."
Mais est-ce la loi du plus fort qui fonctionne ou bien la "stratégie du fou" ? Donald Trump "fait peur", explique Sylvie Bermann, qui considère qu’il y a "ce qu’on appelle aussi la stratégie du fou, c’est-à-dire vous ne savez jamais ce qu’il peut faire et donc vous vous méfiez. Vous vous mettez en position de négociation."
Quelles que soient les valeurs qui animent le stratège, Trump séduit certains en Europe. Ainsi l’avocat Charles Consigny a déclaré que "Trump est très largement diabolisé, et qu’on refuse de voir ce qu’il représente en terme de liberté, en terme de de lendemains qui promettent. On refuse de voir que beaucoup de gens croient en lui." (dans C l’hebdo, France 5 le 9 novembre 2024)
Rien d’étonnant en tout cas à ce que l’extrême droite française et européenne apprécie le président américain. La députée européenne Marion Maréchal, saluait sur C News, le 20 janvier 2025, le "volontarisme" de Trump. De fait, comme le rappelle, Sylvie Bermann, "l’extrême droite aime les hommes forts et l’extrême droite avant la guerre en Ukraine louait Vladimir Poutine". Pour la présidente du parti Identité-Libertés, Trump représente "l'espoir de pouvoir importer… ces succès et ce combat culturel jusqu’en Europe et évidemment en particulier en France".
Le modèle de Trump est-il exportable en France ? Donald Trump "n’est pas un idéologue du tout et il se moque totalement de la démocratie, répond Sylvie Bermann. Il se moque totalement des droits de l’homme, de tout ce que les Européens considèrent comme leurs valeurs donc c’est difficilement importable en Europe." La députée européenne socialiste Chloé Ridel a parlé d'une d'une "politique du rien à foutre" (sur France info, le 7 novembre 2024).
Il y a beaucoup de réunions entre les Européens à tous les niveaux pour savoir comment réagir à Trump
Que peut-on faire face à Trump ? Le comédien Jacques Weber confiait sur RTL qu’il était "absolument sidéré, estomaqué par l’aphasie qu’il y a autour de Trump. Par la façon dont les gens acceptent" (le 25 janvier 2025). Mais "que faire ? répond Sylvie Bermann. Vous pouvez dire, Oui c’est totalement inacceptable mais dans les faits vous acceptez puisque vous n’avez pas les moyens de vous y opposer."
Si les Européens se sentent "assez désemparés" c’est "parce qu’ils n’incarnent pas la puissance. Au contraire, les Européens c’est la règle du droit." Sylvie Bermann révèle qu’il y a "beaucoup de réunions entre les Européens à tous les niveaux pour savoir comment réagir à Trump mais quand vous avez effectivement quelqu’un qui est le plus fort, le pays le plus puissant du monde et un homme qui ne craint personne, qui ne craint pas de vexer, de blesser, qui ne s’intéresse pas aux principes diplomatiques les plus courants…"
Et les dirigeants européens ont beau critiquer Trump, exprimer leur indignation, "tout le monde est prêt à maintenir la relation". Et à tout faire pour se rendre à la Maison-Blanche et "essayer de sauver ce qu’ils ont à sauver".
Le Jour du Seigneur, RCF et les Semaines sociales de France (SSF) lancent leur premier podcast augmenté, "Pas si simple". Un pas de côté pour analyser l'actualité ! Découvrez, chaque mois, un entretien avec un invité pour s’extraire du bruit médiatique, du simplisme, des logiques de clash… et approfondir les idées.
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