"C’est vrai que mes parents s’intéressent à mes fréquentations. Mais il ne faudrait pas qu’il y mettent des barrières. C’est aussi ma vie privée." Le droit à son intimité "amicale", Léo* y tient beaucoup. Mais pourquoi l’amitié est-elle aussi importante pour nos ados ? Quel regard jeter sur leurs relations ? Et comment réagir si elles semblent mauvaises pour notre enfant ? Plongée dans l’univers des "potes" avec Florence Brami, psychologue spécialisée enfants et adolescents.
Pourquoi les "copains d’abord" ? "Faire partie d’un groupe d’amis", explique Florence Brami, "C’est vraiment une façon d’affirmer son identité." Car si on se construit enfant avec le regard de sa famille ou de ses professeurs, "Vers l’âge de 11-12 ans, le cerveau se développe de telle façon qu’on commence à se comparer et créer des liens empathiques, à se mettre dans la tête de l’autre pour savoir ce qu’il va penser de nous. Donc, faire partie d’un groupe, c’est s’assurer d’une identité sociale qui va nous permettre d’être dans une base de sécurité." Et à partir de là, explorer d’autres relations extérieures.
Se comparer, sortir du cercle familial pour construire d’autres relations, oser des expériences qu’on ne ferait pas tout seul, autant de vertus du groupe. Encore faut-il savoir de quel groupe on parle. Pour la psychologue, il y en a deux sortes : "Le groupe d’appartenance, où on s’échange nos secrets, nos commentaires sur les profs. Et puis le groupe de référence, celui auquel on aspire, qui a les codes vestimentaires ou comportementaux qu’on aimerait avoir." Une population donc plutôt hiérarchisée, entre les fameux "populaires", qui dictent les modes, les "lambdas" majorité suivante et silencieuse et les "boloss", traduisez, "les plus ringards." Et chacun à sa place, étant très mal vu de transgresser les codes.
Mais le groupe permet –il vraiment de se construire une vraie personnalité ? On peut se le demander, lorsqu’on voit des ados porter tous les mêmes baskets ou sweat shirts. "Il y a bien un moule social, dans lequel on va vouloir s’intégrer." détaille Florence Brami. "Mais à l’intérieur d’eux-mêmes, ils se construisent avec leur recul, en fonction de ça. Avec leurs amis, ils vont pouvoir tester leurs propres limites, leurs caractères, notamment lors de disputes." En tant que parents, il peut donc être difficile de voir son enfant prendre ses distances avec son univers familial et adopter des valeurs et des comportements nouveaux. Mais souligne dans son livre Florence Brami "il faut respecter ce besoin de distanciation et de communauté avec ses pairs."
Bande d’amis oui. Mais faut-il s’inquiéter si son enfant n’en a pas ou très peu ? Le cas de Mattéo*, interrogé à la sortie du lycée, qui avoue "préférer la solitude." Il faut alors savoir "si c’est un vrai choix." estime Florence Brami, qui précise : "A l’adolescence, vu les stimulations sociales très fatigantes, on peut avoir besoin de s’isoler. Par contre, si les professeurs vous alertent en le voyant seul la récré, qu’il a arrété de déjeuner à la cantine, soit c’est signe d’un mal-être, soit son environnement n’est pas adapté et qu’il le sera dans un autre établissement. Ne pas hésitez donc à ouvrir la discussion avec lui."
Les copains d’accord. Mais faut-il surveiller ses fréquentations ? Plus que surveiller, c’est d’abord être sensible à ce qu’il vit "J’aime bien quand ma mère me demande des nouvelles de ma meilleure amie." déclare Julie*. "Ç’est une personne importante dans ma vie et ça montre qu’elle s’intéresse aussi à moi.". Avis plus mitigé pour Thomas* : "Intérêt, oui. Mais pas intrusion non plus: il faut garder son indépendance." Ce que confirme Florence Brami, tout en soulignant que "connaitre les amis de son ado, les voir à la maison pour discuter du collège ou du lycée, c’est aussi recueillir « en douceur » des infos sur votre ado." Quitte à rectifier le tir avec lui s’il trouve que vous avez été un peu « relou » dans vos questions !
Que faire enfin si certaines fréquentations vous emblent « toxiques » ? Emprise, manipulation, incitation à suivre un comportement que votre ado n’a pas envie de faire mais qu’il effectue pour faire plaisir. "Il faut réagir tout de suite, mais sans conseils d’autorité." estime Florence Brami , en exprimant son ressenti. "Tu sais, j’ai vu ça, j’ai remarqué ça, ce n’est pas une critique, mais pense à te protéger toi-même car personne ne le fera à ta place."
Le message passera-t-il ? "Il peut le comprendre. Ca ne veut pas dire qu’il va vous donner raison. Mais il va l’entendre, d’autant que quelqu’un sous emprise sait qu’il y a quelque chose qui ne va pas et qu’il est prisonnier de cette relation." Et maintenir le lien : "Dans telle situation, j’ai vu que tu n’étais pas à l’aise quand il ou elle te faisait des réflexions et tu n’as rien dit. Qu’est-ce qui se passe pour toi ? Et c’est là où peut commencer à discuter." Le dialogue. Un chemin pas toujours évident. Mais à suivre pour que votre ado puisse grandir ..en toute amitié !
*Prénoms d'emprunt
Pour aller plus loin:
"Le guide parental pour comprendre son ado" de Florence Brami, psychologue et docteur en psychologie de l'enfant et adolescent. Edition Deboeck Supérieur 2024
Un ouvrage qui recense avec clarté , à travers schémas et récapitulatifs, toutes les étapes de la construction d'un ado : transformations physiques et psychiques, les troubles les plus fréquents, les relations amicales, la sexualité et les réseaux sociaux.
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