Infections, convulsions, malformations cardiaques ou étouffement. Chaque année en France, 8500 bébés décèdent pendant la grossesse ou juste après la naissance. Longtemps tabou ou minimisée, cette mort précoce est aujourd’hui mieux prise en compte sur le plan juridique et psychologique. Mais dans quelle mesure ? Comment continuer d’avancer sans oublier ? A l’occasion du 15 Octobre, journée mondiale du deuil péri natal, l’éclairage de Sophie Helmlinger, psycho thérapeute et fondarice de l’association Enfants sans nom- Parents endeuillés, Jean-Michel Balmelle, coordinateur de la 11e édition Une Fleur, une vie et Elisabeth Martineau, journaliste spécialisée dans l’enfance et parentalité.
Perdre un enfant, l’épreuve sans doute la plus terrible pour des parents. Mais pourquoi est-ce plus difficile d’en parler encore aujourd’hui lorsqu’il s’agit d’un enfant à naître ? "Parce que ça fait peur "explique Sophie Helmlinger, "parce qu’on ne sait pas quoi faire et que la mort d’un enfant n’est pas dans l’ordre naturel des choses. " Une réalité qui ne doit pas rester cachée, mais être vue "comme derrière un voile." estime pourtant la psycho thérapeute. "Il y a une pudeur à ne pas l’évoquer devant une femme enceinte, mais aussi la nécessité de trouver des lieux de ressources pour faire face à ce drame s’il arrive."
Ce drame, Sophie l’a elle-même vécu à trois reprises. D’abord en 94, avec la perte à cinq mois de grossesse de sa première fille, Rachel. Une mort banalisée à l'époque. "Pour la médecine, je venais simplement d’expulser un fœtus." raconte-t-elle. "Et pour mon entourage, c’était un accident naturel. Une tante m’a d’ailleurs rappelé que ma mère avait fait cinq fausses couches et que j’aurai d’autres enfants plus tard !" Une sorte d’indifférence à laquelle Sophie a fini par se ranger, malgré sa souffrance, et entrainé par la suite une profonde dépression pendant un an.
Un manque de tact et d’empathie qu’Elisabeth a également connu. En 97, le cœur de Raphaëlle, son premier enfant, cesse de battre, à quelques jours du terme. Si Elisabeth a été préparée à cette annonce et bien entourée par sa sage-femme, c’est une réaction de l’infirmière qui l’a marquée après l’accouchement. "C’est terrible ce qui s ’est passé, lui a-t-elle dit. Je croyais qu’elle parlait de moi. Mais c’était de la mort de Lady Di , qui venait juste de mourir ! » Une maladresse qui l’a paradoxalement incitée à réagir et lui donner envie de se relever.
Mais qu’est-ce qui se joue derrière cette épreuve ? "Ce qui rend très compliqué le deuil péri natal, c’est qu’on a très peu de souvenirs de cet enfant." explique Sophie Helmlinger. "Certes, la maman a eu un rapport très fort avec son bébé, elle le sent bouger, elle voit son corps changer. Mais pour beaucoup, cet enfant n’a pas encore d’existence. Comment alors faire le deuil de rien, de quelqu’un qui n’a pas existé ?" A cela peut aussi s’ajouter une forme de culpabilité, qu’est-ce que j’ai fait de mal pour que ça arrive ? Un sentiment qui peut avoir une utilité, selon la psychothérapeute: "Ca donne l’impression de récupérer la main sur son destin, d’avoir une explication dans ce qui apparait comme incompréhensible."
Epreuve pour la maman. Mais aussi pour le papa. Jean-Michel en témoigne, lui qui a perdu une petite Trinidad, en 2016, décédée après terme, faute de place au moment de l’accouchement. "Il y a une forme de pudeur chez les pères." reconnait-il. "Ils se disent que c’est réservé aux mamans. Mais on souffre aussi. On ne le porte pas dans son corps, mais dans son cœur, dans son âme." Malaise aussi de l’entourage, qui ne sait pas comment réagir. "On se sent très seule dans ces moment-là, le silence autour du sujet est pénible." souligne Elisabeth :"Par contre, J’ai beaucoup apprécié les personnes qui venaient me voir, même cinq minutes, et qui ne disaient pas grand-chose. Simplement une présence, sans jugement et sans chercher à trouver un responsable."
Si la perte d’un enfant a longtemps été minimisée, aujourd’hui, elle est heureusement mieux prise en compte. Sous l’impulsion d’association et de médecins, comme Maryse Moulin, au CHU de Lille, tout un protocole d’accompagnement a été mise en place : voir le bébé si on le désire, l’habiller pour le montrer à ses parents, prendre des photos, des empreintes de ses pieds sur un plâtre ou un buvard, lui organiser une cérémonie d’adieu et surtout lui donner officiellement un prénom. Ce qu’autorise une disposition légale depuis 2020, qui vient compléter l’inscription du nom sur le livret de famille depuis 2008. Une mesure rétroactive jusqu’aux bébés morts nés depuis 1993 et une façon de sortir du silence ces enfants qualifiés de "débris humains" il y a encore 30 ans ...
Et pour l’avenir ? Comment se remettre dans un projet de naissance après cette mort prématurée ? « Il y a souvent beaucoup d’angoisse, peur de revivre le même drame. Mais ce sont souvent des grossesses qui sont très surveillées." précise Sophie Helmlinguer. Quant à faire un "enfant de remplacement", qui pourrait en souffrir ensuite, Sophie nuance : "Si l’enfant qui nait après n’empêche pas les parents de faire le deuil du précédent, de pleurer vraiment, de ressentir toutes ces émotions, l’enfant qui viendra ne sera pas voué à être malade dans sa tête toute sa vie !" A condition aussi de ne pas idéaliser l’enfant mort trop tôt, paré de toutes les vertus, alors que les suivants pourront se révéler bien plus vivants et parfois durs à supporter au quotidien !
Reste que dans cette épreuve, comme dans toutes les autres d’ailleurs, l’important est de ne pas rester seul. D’où la participation à de groupes de parole, proposées par les associations, comme L'enfant sans nom. Un espace où dire sa souffrance, parler de cet enfant, échanger avec d'autres parents ayant vécu cette même épreuve, d'un moment où se sentir écouté et soutenu." La foi aussi peut être un soutien, même si Sophie, femme de pasteur, reconnait qu’elle a eu son moment de révolte avant d’y puiser une nouvelle force. Et de continuer à avancer, sans nier, ni oublier.
"Enfant sans nom- Parents endeuillés" : Créée en juillet, cette association s'est fixée comme objectifs d'offrir un accompagnement de qualité aux parents et familles endeuillées et d'informer et sensibiliser l'opinion publique sur la réalité, les difficultés et les conséquences du deuil périnatal. A retrouver sur :https://lenfantsansnom.fr/
"Une fleur , une vie " : Lancée en 2013, cet évènement se veut un temps de rencontres à la fois familial et artistique pour les parents et proches ayant vécu la mort prématurée d'un enfant. Ateliers, conférence et création d'un bouquet de fleurs géant sont proposés aux participants. La 11e édition se déroulera le 19 Octobre à la Mairie du 15e arrondissement de Paris, de 10h à 18h. Toutes les infos sur : https://unefleurunevie.org/
Des livres à consulter :
"Une terrible épreuve - Ma traversée du deuil péri natal" de Sophie Helmlinger : Le témoignage fort d'une maman après trois décès successifs, de 94 à 98, jusqu'à la création de l'association "L'enfant sans nom " et la première édition de "Une Fleur, une vie". Editions Empreinte -Temps présent 2014
"Surmonter la mort de l'enfant attendu - Dialogue autour du deuil péri natal." d'Elisabeth Martineau : A travers le récit de la mort de sa première fille, Raphaëlle, en 97, des pistes et de nombreux témoignages pour mieux comprendre et avancer. Editions Chronique Sociale - 2008
Et des BD :
"Pour toute la vie" : de Sophie Helmlinger, sur des illustrations de Didier Jean et Zad. Un livre album grand format simple et accessible pour parler aux enfants de la mort prématurée d'un petit frère ou d'une petite soeur. Editions "Utopique" dans la collection "Bisous de famille" - 2018
"L’Or du soir qui tombe- Parents d’une étoile." de Korrg'Anne. Un roman graphique autour de l’histoire d’un jeune couple, Charles et Roxanne, qui perd son premier enfant et qui progressivement, va se tourner vers l’adoption d’une petite fille handicapée. Une BD émouvante et lumineuse, complétée par une douzaine de témoignages de parents qui ont vécu cette épreuve ainsi que le regard de professionnels, médecin, sage-femme et doula. Edition Trédaniel - Courrier du livre Graphic - 2024
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