Comment être fidèle à sa foi et vouloir réformer l’Église ? Quel doit être le statut du prêtre ? François Mauriac est l'un des rares écrivains catholiques de son temps à être resté fidèle à l'Église, à une époque où les échanges entre catholiques étaient si vifs qu'il était difficile d'être mesuré. Son histoire, que raconte l'historien Philippe Dazet-Brun dans "Mauriac dans l'Église catholique ou la fidélité aux aguets" (éd. Cerf, 2021), fait écho à celle de nombreux catholiques d’aujourd’hui, pris dans la tourmente que traverse l’institution depuis la publication du rapport Sauvé.
Issu d’une famille de la bourgeoisie bordelaise, François Mauriac a découvert en entrant au Sillon, à l’âge de 20 ans, le monde ouvrier et la question sociale. Il n'y est pas resté longtemps, mais "il en restera quelque chose jusqu’à la fin de sa vie". Il en gardera ce que Philippe Dazet-Brun décrit comme la "mauvaise conscience que la bourgeoisie peut avoir vis-à-vis d’un monde qu’elle a méprisé". Et quand, en 1910, Le Sillon a été condamné par le pape, François Mauriac a pris la défense de son fondateur Marc Sangnier.
François Mauriac n’était pas à l’aise dans le milieu traditionnel de l’Église. "C’était toujours quelqu’un qui était en marge, explique son biographe, en fait je pense que c’était un authentique chrétien dans le sens où il cherchait le Christ dans l’altérité, finalement, et dans l’autre, celui qu’il ne connaît pas."
Étudiant à Paris, Mauriac fut considéré comme un dangereux gauchiste par des jeunes gens issus du même milieu que le sien, et expulsé du foyer 104 sous la pression des maurrassiens. "Ils ont une façon de défendre la famille, la religion et la propriété qui donnerait au pape lui-même l’envie de saper cette auguste trinité", a-t-il écrit d’eux. Pourtant, après la guerre, il est resté proche des idées de Maurice Barrès. Avec la parution en 1922 de son livre "Le baiser au lépreux", il est devenu le grand auteur catholique de France. Et quand il a été élu à l’Académie française en 1933 c’est grâce à la frange conservatrice de l’Académie. "Mauriac a vraiment incarné cette aile droite du catholicisme."
L’orientation politique de Mauriac a basculé vers 1934-1937, notamment après l’invasion de l’Éthiopie. "Mauriac a toujours en en lui une révolte profonde contre tous les racismes, et l’antisémitisme en particulier." Ainsi, au tournant des années 30 il a intégré la revue Sept, publiée par les dominicains, de tendance progressiste. Pour ses détracteurs les plus conservateurs, Mauriac basculait du côté des chrétiens "rouges" - en réalité très "sages", décrit l'historien Florian Michel. "Les forces qui travaillent le catholicisme à l’époque sont d’une telle puissance que ça emporte cette position médiane."
La période de l’entre-deux-guerres a été secouée de débats politiques, spirituels et intra-ecclésial particulièrement vifs. Mauriac était "taraudé par l’idée que la France perdait la foi". Aussi, il a soutenu le mouvement des prêtres ouvriers. Il y avait chez lui "une fidélité à une sensibilité, celle de la mission auprès de milieux déchristianisés". Mais l’immersion dans le monde des prêtres ouvriers allant jusqu’à la lutte politique et la syndicalisation, au risque de perdre un statut sacré l'a laissé, comme beaucoup de catholiques, écartelé.
La tension entre obéir ou résister a été consubstantielle à Mauriac, elle a même été "une tension de vie" selon son biographe. Il a été de ces catholiques qui ne sont jamais partis. Il disait "l’Église est le port unique", "je suis un vieux zouave pontifical"... Son enthousiasme initial pour Vatican II a laissé la place à un sentiment mitigé. Il a apprécié les avancées sur l’œcuménisme "parce qu’il était désolé de voir les frères séparés".
Mais au sujet de la liturgie, dont il vivait quotidiennement, "Mauriac est passé pour un conservateur, voire un réactionnaire". Lui qui était "un homme de l’eucharistie", il craignait de se perde "une dimension sacrée" dans toutes les expériences liturgiques post Vatican II. Avec la nouvelle liturgie, "il perdait le témoin de sa propre histoire, de son enfance, par laquelle il retrouvait ses morts avec lesquels il dialoguait".
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