A l’occasion de la mort du grand écrivain albanais Ismail Kadaré, Stéphanie Gallet interview Eric Faye. Voilà près de trente ans que l’écrivain français côtoie la grande voix albanaise. Il a écrit plusieurs livres à son sujet. Il raconte une écriture toute dévouée à la liberté.
Ismail Kadaré, le grand écrivain albanais est mort lundi 1er juillet à l'âge de 88 ans. C’est une des grandes consciences européennes face au totalitarisme. Il laisse derrière lui une œuvre importante forte d’une quarantaine de livres. Eric Faye, l'un des meilleurs spécialistes de Kadaré en France, nous raconte un homme et une œuvre qui n’ont eu de cesse de célébrer la liberté dans l'Albanie d'Enver Hodja, l'un des régimes les plus autoritaires que l’Europe ait connu.
C’est en 1990 qu’Eric Faye rencontre Ismail Kadaré pour la première fois. A l'époque, le jeune journaliste est fasciné par les livres de cet écrivain. Il se demande comment une œuvre aussi libre a pu s’épanouir à l’intérieur du plus dur des régimes staliniens, celui d’Enver Hodja. Pour Eric Faye, “Ismail kadaré est non seulement un excellent écrivain avec une écriture très poétique, très métaphorique mais c’est aussi un penseur, un philosophe avec une vision du monde. Il relisait le phénomène humain mais aussi l'histoire contemporaine à la lumière des mythes antiques et des légendes balkaniques.” Et Eric Faye de poursuivre, “pour Ismaïl Kadaré, la bonne littérature doit associer le tragique et le grotesque. Shakespeare et Eschyle mais également Cervantes étaient ses maîtres.”
Ismail Kadaré reste comme un des grands écrivains de la liberté. Mais sous la dictature stalinienne d’Enver Hodja, impossible d’être un dissident comme Vaclav Havel en Tchécoslovaquie, impossible de raconter les camps comme Soljenitsyne dans l’URSS de Khrouchtchev. Une parole frontale sur la réalité albanaise était mortelle, il fallait ruser. Ce qui explique ses détours par les mythes, le passé. En situant ses histoire sous le règne de l'empire ottoman, il pouvait ainsi indirectement évoquer la dictature albanaise. Et malgré ces ruses, certains de ses livres étaient quand même interdits. Pour Eric Faye, “Ismail Kadaré a montré comment un écrivain peut résister aux pressions par la ruse, par des concessions, des compromis parfois mais en gardant toujours en tête que ce qui compte, c'est ce qui restera de lui, c'est son œuvre.”
En 1990 il demandera l’asile politique en France avant de revenir en Albanie. Les français, qui l’ont découvert dans les années 70, auront été, après les albanais, ses plus fervents lecteurs.
Comme Milan Kundera, Ismail Kadaré ne recevra jamais le prix Nobel de littérature. Cela aurait été, regrette Eric Faye, “une belle reconnaissance pour les 6 millions de locuteurs albanais mais pas seulement car l’écrivain reste une des grandes figures intellectuelles de la culture européenne.”
Lors des funérailles d’Ismail Kadaré mercredi 3 juillet à Tirana, ce n'est pas l'aigle bicéphale albanais qui était représenté au dessus de son cercueil mais la silhouette de Mère Térésa, autre célèbre albanaise, mains jointes, un chapelet dans les mains. Ismail Kadaré qui portait un prénom musulman, rapporte Eric Faye, pensait que “l'Albanie devrait se convertir massivement au christianisme en gage d'appartenance à l'Europe. Il se sentait européen.”
Le palais des rêves publié en 1982 et aussitôt interdit. Un livre essentiel contre toutes les formes de tyrannie.
Avril brisé, un roman somptueux qui nous transporte dans les Hauts plateaux d’Asie Centrale au début du 20ème siècle. Kadaré raconte le code coutumier des albanais face à l'oppression ottomane.
Qui a ramené Doruntine ? Très court roman, sorte de polar métaphysique médiéval dans l'Albanie du 14eme siècle, un conte fantastique sur la parole donnée.
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