Le titre est long, il s’agit d’une phrase d’Ernest Hemingway, Prix Nobel de de littérature, un sommet de la littérature américaine voire mondiale. Parmi les 90 livres qu’il a publiés, Gérard de Cortanze avait déjà travaillé sur l’auteur américain avec Hemingway à Cuba republié en folio en 2002.
Il revient ici sur les derniers jours de l’écrivain. "A ton avis, que se passe-t-il quand un écrivain qui a dépassé la soixantaine comprend qu’il ne pourra plus jamais écrire les livres qu’il s’est juré d’écrire ? Ni accomplir ce qu’il s’était promis d’accomplir quand il avait vingt ans ?". C’est la question centrale du roman qui se déroule du 12 juillet 1960 au 1er juillet 1961. Il aimait les femmes ? Il perd sa libido. Il vivait pour écrire ? Il n’y arrive plus. Il buvait largement ? L’alcool lui est interdit.
Le roman commence à Cuba. Hemingway cherche son chien Black dog. Il le cherche partout et sa femme avec beaucoup de prévenances lui rappelle que l’animal est mort depuis trois ans. C’est le début des troubles psychiques.
On craint au début un roman Wikipédia, c’est-à-dire truffé de détails biographiques qui ralentiraient l’action. Cortanze ne tombe pas dans ce piège bien qu’il connaisse les méandres de son sujet sur le but des doigts. Il a la bonne idée de resserrer le roman, de le concentrer sur deux personnages : Ernest et sa femme, Mary Welsh. Elle le protège, le suit, l’admire, l’aime, subit des engueulades homériques et des désespoirs sans fin. Ils quittent Cuba pour revenir aux Etats-Unis et tenter de soigner l’écrivain qui voit des agents du FBI partout : dans les bars, dans les rues, dans le jardin de leur maison, dans la maison elle-même. Ils viennent sous la forme de personnages de romans. Et viennent narguer Ernest et l’épier.
Il est interné à la clinique Mayo à Rochester, une clinique psychiatrique, sous un faux nom car il n’est pas question de révéler à la presse que le Prix Nobel de Littérature est devenu fou. Là, il subit des électrochocs (la description que raconte Cortanze est saisissante). Et Mary est toujours là. Cette histoire d’amour est une grande réussite de ce roman, non pas une passion fugace mais un amour profond, sincère, entier. Mary est beaucoup plus jeune qu’Ernest et elle suit ses folies, ses accablements, ses mouvements d’enthousiasme.
On a affaire à un bipolaire de plus en plus paranoïaque, malade donc, et furieusement attachant. Un autre personnage d’importance est Hodward Home, le médecin chef de la clinique Mayo. Il est un peu comme un savant fou, dur avec son patient, prévenant avec Mary. Est-il un agent du FBI comme le croit l’écrivain ? Mais sa présence permet de bons dialogues sur l’écriture, las critiques (ils en prennent pour leur grade) et l’art en général.
Il ne lui manque qu’un chapitre pour achever Paris est une fête. La Panne d’encre l’obsède et Gérard de Cortanze (je l’ai dit : 90 bouquins au compteur) décrit le désarroi. Ça commence par une difficulté croissante à trouver le bon mot, le synonyme parfait. Un travail de mémoire, donc. Puis cela se prolonge par une perte de résistance. Écrire est une activité physique. Ernest se levait à cinq heures du matin et écrivait tous les jours de six heures à midi. C’est la discipline qui doit aiguiser le talent. La discipline de l’écrivain, ici parfaitement décrite. Or, depuis quelques mois, Ernest ne se réveille plus et se traîne. C’est un cercle vicieux.
Trop las pour s’inquiéter du reste de la vie, il n’avait plus d’émotion, plus de perspective ; il avait dépassé la souffrance
C’est un roman fort comme un verre de whisky, dur comme un abandon, bouleversant comme un amour solide et passionnant comme une biographie romancée. Une réussite.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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