Aujourd’hui, on part sur les traces de Gertrude Bell, dans le roman d'Olivier Guez, Mésopotamia, paru chez Grasset. C’est un livre d’histoire, mais c’est aussi une clé pour comprendre notre présent. C’est un peu de la géopolitique racontée comme un roman d’aventure. Au XIXe siècle, avec le développement des transports et l’industrialisation, on part à la conquête de l’Ouest ou vers des terres inconnues qu’on essaie volontiers de s’approprier. "Une fièvre d’un genre nouveau : l’impérialisme."
L’action du roman, très documenté, se passe un peu plus tard, dans l’entre-deux-guerres, quand les Occidentaux, pour dire vite, ont voulu se partager les territoires, tout particulièrement au Moyen-Orient. Et pour réussir leur coup, les États conquérants ont besoin de renseignements : "Gertrude Bell, la célèbre voyageuse du désert, fournirait des informations précieuses", se disent les autorités britanniques. Archéologue, exploratrice et diplomate, spécialiste de la culture arabe, elle devient espionne impérialiste.
En sortant de la Grande Guerre de 14-18, les Anglais ont des vues sur le Moyen-Orient et cette région de la Mésopotamie, non seulement pour sa richesse archéologique, mais aussi au regard des sous-sols pétrolifères. "Pour atteindre cet objectif, il fallait faire main basse sur ce pays entre deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate, terre de légendes et de révélations, berceau des civilisations." Habile négociatrice, au caractère bien trempé, Gertrude œuvre de concert avec Lawrence d’Arabie. Par des allers-retours chronologiques, Olivier Guez révèle la personnalité de cette géographe, sixième fortune de Grande-Bretagne, témoin d’une époque qui pourtant ne laissait guère de place aux femmes. À force de ténacité et d’intrigues, c’est bientôt l’Irak qui est inventé, dessiné au cordeau, alors même que "la Mésopotamie, composée de mille ethnies et d’autant de religions et de sectes, ne constitue pas une nation." Cela ne freine pas l’appétit des colonisateurs : "La sève britannique va féconder le désert mésopotamien, pour le salut de l’humanité", osait-on avancer à l’époque.
Je vous parle de géopolitique, mais c’est aussi le roman d’une vie, l’histoire d’une femme exceptionnelle, méconnue, qui n’était pas sans failles, à commencer par son ardent désir inaccompli de fonder une famille. "C’est dans leurs déserts qu’elle a rencontré ses pareils, les nomades, des hommes insensibles à l’effort et inaccessibles, romantiques, rebelles et conservateurs : les Bédouins." Battante, manipulatrice, elle n’en était pas moins soumise à une telle pression qu’elle pouvait se sentir abandonnée : "Gertrude fut submergée par un immense chagrin (…) Elle avançait à tâtons, vagabondant depuis vingt ans sans but véritable. Qu’allait-elle faire du temps qui lui restait à vivre ? Poursuivre ses errances ?", interroge Olivier Guez. Alors même que l’héroïne, trop méconnue, mérite les honneurs : "Elle appartenait à la race des seigneurs et aurait sa place un jour au panthéon des aventuriers britanniques, ces hommes dont l’intrépidité et l’audace avaient couvert de gloire l’empire." Un bel hommage qui n’efface pas le douloureux constat, au crépuscule de l’existence : "J’ai été heureuse dans les petites choses et malheureuse dans les grandes."
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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