Christophe Henning dirige le cahier livres de La Croix. Cette semaine, il présente le roman de Kamel Daoud, Houris, publié chez Gallimard.
C’est un long monologue, les confidences d’une jeune femme qui se prénomme Aube, parce qu’un jour nouveau se lève, un jour au cours duquel elle va décider du sort à réserver à l’enfant qu’elle porte. Elle hésite parce que, confie-t-elle, « C’est un couloir d’épines que de vivre pour une femme dans ce pays. »
Ce pays c’est l’Algérie, tout juste remis des années de guerre qui ont endeuillé les années 1990. Aube n’était qu’une enfant, et si elle n’a pas échappé à la violence, elle a survécu miraculeusement. Non sans en porter les stigmates puisqu’une cicatrice dessine un large sourire sur sa gorge : « Je suis la trace, le plus solide des indices attestant de tout ce que nous avons vécu en dix ans en Algérie », confie-t-elle, avant de poursuivre : « Comment une femme muette de vingt-six ans peut-elle parler autant, sans reprendre son souffle ? ». Patiemment, elle murmure à l’oreille du lecteur toutes les atrocités qui ont pu être commises, alors même que, depuis la promulgation de la Charte pour la paix et la réconciliation en 2006, la loi interdit d’évoquer la guerre fratricide. Sous peine d’emprisonnement.
Ce livre reste un roman, il fait référence à des années noires en Algérie, entre l’armée et les islamistes. Sans pour autant être un livre d’histoire : c'est bien une œuvre littéraire, dense, exigeante, qui correspond à la profondeur du sujet. Les phrases tournent autour du malheur. Il faut se laisser toucher par le récit qui infuse, nous fait entrer dans les échos intérieurs de la narratrice, laisse résonner le flot des souffrances… « Il ne reste rien de la guerre que les égorgeurs de Dieu ont menée il y a quelques années. Rien que moi, avec ma longue histoire. » Ce n’est pas en vain que la narratrice survit : « Certains savent que je reviens d’entre les morts. Que je survis à mon égorgement pour recenser les victimes. Et leurs bourreaux. » Quand Aube décide de remonter jusqu’au village familial, là où s’est joué le drame, elle ose croire qu’elle sera accueillie, que les retrouvailles seront joyeuses : « C’est une idée folle, ruineuse et mauvaise que de chercher à remonter le temps, ou d’aller fouiller des preuves pour négocier avec une morte. »
Comment ne pas vouloir retrouver sa sœur morte ? Quant à sa propre survie, n’est-elle pas un signe ? La peur est profondément ancrée, la trace de la mort est palpable : « Chaque fois qu’un danger me guette ou qu’un événement me bouleverse, c’est comme si le jour du massacre des miens se rejouait. Tout est lié à ce jour fatidique et ce jour est lié au vide. » L’enfant qu’elle porte pourrait être témoin de ce qui se joue : « Avec toi, je résiste à l’effacement que dans ce pays on a imposé aux gens comme moi. » Un libraire ambulant croise la route d’Aube : il est le scribe des massacres perpétrés pendant ces années de plomb. Il rassemble les témoignages pour tenter enfin de mettre un point final à la violence : « Ca rend fou, les histoires qu’on ne peut pas raconter jusqu’à la fin, une fois pour toutes. »
Houris, de Kamel Daoud, publié chez Gallimard.
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