Frédéric Boyer est bien connu de nos auditeurs, traducteur de la Bible, de saint Augustin, de Shakespeare, romancier, essayiste, il signe une œuvre considérable : Si Petite est son 54ème livre, publié ici chez Gallimard. L’ouvrage est mince, 120 pages, mais dense. Il est question du mal et de son obsession.
Tout commence sur le champ de course de Fontenailles dans la Sarthe. C’est une course de trot et soudain, un cheval vacille, tombe : plus de peur que de mal, le jockey est indemne mais la bête est abattue. Sachez que pour la seule année 2019, 135 chevaux sont morts en pleine course hippique). Sur la pelouse centrale, une femme, la trentaine, vend des bières. Avec son compagnon, elle a eu trois enfants, il était père de deux autres d’un premier mariage. Cinq enfants à nourrir donc. Et la dernière qui n’a pas de nom, désignée par Si petite. Fruit d’une grossesse niée, déclarée morte à la naissance, réapparue un mois plus tard dans les bras de sa mère, tuée huit ans plus tard… Si petite.
"Bleus, griffures, coupures", soupçons de maltraitance déposé au parquet du Mans.
Elle dort seule à la cave sur un matelas, à côté du congélateur où ses parents finiront par l’enfermer, vivante ou morte, nul ne le sait. Mutilée de famille comme on serait mutilé de guerre la Petite a 19 cicatrices et répond aux gendarmes comme à l’institutrice qu’elle se cogne tout le temps contre les murs. Elle raconte une vie enchantée et une maison magnifique qui n’a rien à voir avec ce logement sombre aux murs défoncés. Deux jours après avoir battu à mort la Petite, et placer le corps dans le congélateur, le père l’a emporté dans un conteneur de déménagement puis a coulé plusieurs kilos de béton pour l’ensevelir.
Frédéric Boyer s'intéresse à ce fait divers sordide car il pose la question du mal. On le nie volontiers dans nos sociétés post-moderne, on l’explique, le commente, l’excuse d’une certaine façon. "Se détourner du mal ne s’entend qu’à la condition de l’avoir reconnu",
écrit Frédéric Boyer. Et plus loin : "Si nous nous intéressons au mal c’est qu’il ne peut être vu du dehors sans y croire. Le mal ne se voit en rien si nous ne faisons pas l’effort de le reconnaître et de le désigner comme présence crédible. Il n’a pas d’apparence particulière mais c’est quelqu’un de connu dont nous préférons souvent ne pas nous souvenir."
Mais allons plus loin ou plus près de l’intimité de l’auteur qui se confie sur le mal. Quelque chose de banal qui détruirait ? Il tient son divorce devant lui, la blessure : « Ma tristesse divorce aussi et de la séparation que j’avais provoquée. Quoi ou qui que ce soit que nous ayons perdu, c’est toujours nous-même que nous avons abandonné à la place d’un
autre ou d’une chose si secrète, si vivante, que nous en sommes blessés à jamais ».
"J’avais pris la décision de la séparation, mais je ne savais pas encore le mal que je faisais. Ni ce que dans l’amour je cherchais à fuir et à réinventer. Ou je ne voulais pas le savoir. C’est le problème avec le mal que nous nous faisons les uns les autres, et le mal que nous infligeons aux autres : nous ne voulons pas y-croire".
Les mots coulpe, coupables ou culpabilité sont absents du texte. Non qu’il faille se disculper mais bien regarder le mal en face. Si Petite, ce nouveau texte de Frédéric Boyer ne renvoie pas aux grands maux de l’histoire : nuit de la saint Barthélémy, Shoah, Goulags et j’en passe mais nous donne de méditer sur le mal de façon objective pas tant sur le ressenti que sur les faits.
Je cite encore Frédéric Boyer : « Il ne peut s’agir uniquement de raconter, de romancer, et pourtant notre désir de raconter est mis à l’épreuve. Notre besoin de romance également. Il s’agit avant tout de déposer un souffle par l’écriture sur la cicatrice inguérissable d’un événement ». Comme vous le voyez, la littérature est bien salvatrice.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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