LE MOT DE LA SEMAINE - Aujourd'hui Jean Pruvost nous fait découvrir le mot "nomination". Alors que la France est dans l'attente d'un premier ministre suite à la démission de Michel Barnier, le lexicologue examine l'étymologie de l'annonce tant attendue.
À la suite de la Censure intervenue la semaine dernière, le Président de la République a annoncé que la nomination d’un premier ministre interviendrait dans les prochains jours. Et c’est ce mot, « nomination », qui m'a intéressé, parce qu'il est caractéristique.
Sa caractéristique principale tient au fait qu’il est très rare de bénéficier d’un mot qui, au fil des siècles, ne change pas de sens. Il y a d’ailleurs parfois même des mots qui prennent un sens totalement inverse par rapport à celui de départ, comme par exemple l’adjectif « énervé », qui au XVIIe siècle voulait dire mou, « sans nerf », conformément au latin « enervare » signifiant couper les nerfs, et qui au début du XXe siècle va signifier « agacer ». Au reste dans le premier Petit Larousse, publié en 1905, il a encore pour définition « abattu » ou « qui a subi le supplice de l’énervation ». Il va changer peu à peu de sens, avec dans ce même Petit Larousse cet ajout significatif : « Abusivement. Qui agace les nerfs. Discussions énervantes ». Eh bien, c’est un fait, le mot « nomination », en plus de vingt siècles, n’a pas changé de sens : dès l’époque impériale, en latin classique, « nominatio », désigne déjà le fait de nommer quelqu’un à une fonction, avec donc rigoureusement le même sens qu’aujourd’hui, même si aujourd’hui d’autres sens lui ont été attribués, au reste guère en usage.
Rappelons d’abord, que le terme « nomination », en son sens inchangé, est resté très présent. Je me souviens encore d’attendre, une fois le concours réussi, ma première nomination de professeur de français. J’aime aussi à relever qu’il y a pour le mot « nomination » des emplois constants relevés dans nos dictionnaires, par exemple dans le « Trésor de la langue française », soulignant qu’une nomination peut être « éventuelle, officielle, probable, sûre… », en ajoutant la « nomination qui intervient, qui tarde, qui traîne en longueur ». À Anatole France d’évoquer Monsieur Bergeret qui, écrit-il, « reçut l’avis qu’il était nommé professeur titulaire », « nomination » qui lui vint « au moment où il s’y attendait le moins ». Certes, la nomination a correspondu pour certains linguistes au fait de donner un nouveau nom à une chose, mais le relais a été pris par la « dénomination ». Autre remarque importante, l’adjectif « nominé » à propos d’un prix est très critiqué, c’est un calque de l’anglais, la recommandation officielle étant « sélectionné ».
Elles sont parfois perturbantes. Ainsi, en voici une première « Affectation ou parachutage ». Il est vrai que parfois la nomination semble tomber du ciel. L’Académie signale judicieusement le sens figuré du verbe « parachuter » ainsi : « nommer une personne à un poste, la charge de façon inopinée d’une mission dans un milieu qui lui est étranger ». Et voici une seconde définition de la nomination par les verbicrucistes : « Peut permettre d’obtenir rapidement un fromage », et là aussi le « fromage » est à prendre au sens figuré bien mentionné par l’Académie française : « Se dit d’une situation lucrative et de tout repos. Il a trouvé un fromage. Cette administration et un fromage pour beaucoup. » Eh bien, là, je pense qu’on sera tous d’accord : le premier ministre ne va pas vraiment trouver un fromage avec le nouveau gouvernement à constituer. Bon appétit !
Jean Pruvost, lexicologue passionné et passionnant vous entraîne chaque lundi matin dans l'histoire mouvementée d'un simple mot, le mot de la semaine !
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !