Avec Christophe Henning, on parle littérature chaque jeudi, dans La Matinale RCF. Il nous présente "La revanche des orages", de Sébastien Spitzer (éd. Albin Michel).
Dans les fracas des armes qui retentit depuis plusieurs mois en Ukraine, il y a toute l’horreur d’une guerre qui n’a pas de raison d’être, d’une escalade dans la violence qui ne peut que nous impressionner et nous révolter. Et voilà qu’on évoque l’usage de l’arme suprême, le recours à la bombe atomique. Qu’elle soit tactique ou stratégique, faut-il que nous soyons à ce point aveugles pour seulement y penser ? Ce propos géopolitique doit vous étonner, chers auditeurs, alors qu’il est habituellement question entre nous de littérature. En fait, par le plus grand des hasards d’un raccourci historique, j’ai lu récemment le livre de Sébastien Spitzer qui raconte l’histoire, tenez-vous bien, du pilote américain qui, le 6 août 1945, largua la bombe sur Hiroshima. Et l’on sait de quoi il s’agit : “Cette boule est la chose la plus puissante… la plus aveuglante… et la plus brûlante jamais créée… depuis que l’homme est sur terre.”
Tout est vrai, sauf que c’est raconté par un romancier qui s’arrange parfois avec le réel. Pendant des semaines, Claude Eatherly, le pilote de tête du bombardement, subit un entraînement sans relâche. Il s’ennuie, voudrait au moins qu’on lui confie une mission, et quand cela arrive, il a conscience qu’il est aux commandes d’une arme particulière, mais n’imagine pas qu’elle soit si monstrueuse. Est-ce excessif de dire que cet homme a été sacrifié dans ce combat sans merci ? Après Hiroshima et Nagasaki, la victoire des Américains est acquise, et Eatherly est accueilli comme un héros. “Hiroshima. La bombe qui a mis fin à cette foutue guerre. C’est lui !”, s’exclame Anna, sa femme, alors que le pilote revient, mutique, bientôt hanté par ses démons. C’est vrai, il entre dans l’Histoire, mais comment un homme peut-il supporter un tel poids ? D’ailleurs, il ne tarde pas à perdre pied, sombre dans la folie, sera interné, alors qu’une voix l’interroge, le poursuit jour et nuit : ”j'ai levé les bras pour protéger mes yeux. J'ai senti la brûlure d'une chaleur infernale. Ma tunique, mon dos, ma nuque, mes cuisses et mes mollets torturés par mille millions de lames brûlantes.” Cette voix, c’est celle d’Hanae, une enfant survivante qui, du sol meurtri, interroge le ciel et le pilote. À moins que ce soit la voix de sa conscience.
Je n’ai aucune compétence pour en parler, alors ne poussons pas trop loin la comparaison et le rapprochement entre l’actualité et la littérature est peut-être hasardeux. Mais réfléchissons-y, et espérons que l’arme atomique reste bel et bien une arme de dissuasion, aussi bien dans le présent que dans le futur. Et n’hésitons pas à lire Spitzer : il a trouvé les mots pour dire l’horreur et la folie dont l’homme est capable. Dire simplement la désolation, la ruine et la démesure. On a recensé plus de 140 000 morts à Hiroshima… Comment le pilote du bombardier B-29 pourrait-il échapper aux fantômes : “Le docteur Shigetô est allé faire un tour au château de la Carpe. En ramassant des débris, il a remarqué une tache étalée sur les marches. C’était l’ombre d’une femme incrustée dans la pierre, comme une radiographie aux contours très précis. Il m’a décrit la forme des hanches, l’allure des épaules et ce qui pouvait ressembler à une coupe de cheveux. Au carré. Et à côté, une autre ombre, la mienne. Deux ombres incrustées dans une pierre poreuse. (…) Combien y a-t-il d’ombres imprimées dans la pierre ?”
"La revanche des orages", de Sébastien Spitzer, éd. Albin Michel.
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