Pourquoi le pape Pie XII n'a-t-il pas condamné ouvertement le fascisme et le nazisme durant la Seconde Guerre mondiale ? Un grand nombre d'historiens se sont penchés sur la question. Mais un document exceptionnel vient de paraître et nous permet d'en savoir plus. Le journal intime d'un diplomate qui fut un témoin privilégié de cette période, dans l'enceinte du Vatican.
C'est un document exceptionnel qui est enfin publié. Les mémoires de Wladimir d'Ormesson sont parues le 2 novembre 2023 aux éditions Tallandier. Elles racontent les six mois durant lesquels ce diplomate est resté aux côtés de Pie XII, de mai à novembre 1940. Un document qui conduit à rouvrir le dossier complexe de l’attitude de Pie XII face au fascisme et au nazisme.
Publié sous le titre "Ma tragique ambassade - Vatican, 27 mai-1er novembre 1940" (éd. Tallandier, 2023), le journal intime de Wladimir d'Ormesson est un livre qui réjouit les historiens par sa "très grande honnêteté".
Né en 1888 à Saint-Pétersbourg de père diplomate français, Wladimir d’Ormesson (oncle de l'écrivain et académicien Jean d'Ormesson) appartenait à une grande famille aristocratique "qui a survécu à Révolution et a continué à servir la France notamment dans des carrières diplomatiques", résume Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis et en Israël. Il signe la préface du journal intime de Wladimir d'Ormesson.
"On pouvait penser que Wladimir serait naturellement un pétainiste. Et on découvre très rapidement dans ce journal qu’il ne le sera pas." Wladimir d’Ormesson ne cache pas dans son journal qu’il "a des phases d’admiration quand il rencontre Pétain", observe Gérard Araud. Lui qui n'est devenu "vraiment gaulliste" qu'en 1944 n’a pas essayé de gommer son passé. Ce fils de bonne famille n’a pas été un simple oisif et n'a pas non plus choisi d’emblée la voie toute tracée de ses ancêtres. Après la guerre il s’est lancé dans le journalisme pour devenir éditorialiste au Figaro en 1934.
Il a été amené à reconnaître bien vite une certaine faiblesse de caractère d’un pape trop diplomate, et diplomate au sens de la vieille école
Le 27 mai 1940, Wladimir d’Ormesson est arrivé au Vatican où il a retrouvé Pie XII. "Les deux hommes se connaissaient", rapporte l’historien Philippe Chenaux, professeur à l'université du Latran à Rome, et auteur de "Pie XII - Diplomate et pasteur" (éd. Cerf, 2003). "Je pense qu’ils s’appréciaient. Il y avait une certain nombre d’affinités entre les deux hommes de milieu social, de tempérament, de sensibilité. Tous deux étaient des diplomates au fond, des gens bien élevés."
Eugenio Pacelli venait d’être élu pape, le 2 mars 1939. Avec l’entrée en guerre de l’Italie en juin 40, les ambassadeurs des pays alliés - France, Belgique, Angleterre - ont été contraints de se réfugier dans l’enceinte du Vatican, protégé par son statut d’extraterritorialité. Wladimir d’Ormesson a donc vécu à Sainte-Marthe - là où vit le pape François aujourd’hui. Ses écrits personnels donnent à voir le petit monde qui évolue autour du pape, dans un contexte particulier et finalement assez complexe.
Témoin privilégié, Wladimir d’Ormesson nous éclaire sur la personnalité de Pie XII. "Il a été amené à reconnaître bien vite une certaine faiblesse de caractère d’un pape trop diplomate, analyse Philippe Chenaux, et diplomate au sens de la vieille école, d’un homme du XIXe siècle au fond qui ne comprend pas ce qui lui arrive et qui n’est pas accordé comme il dit à la gravité des temps."
Le grand débat autour de Pie XII porte sur son attitude face au nazisme et au fascisme. Ainsi, dans son discours de Noël 1942, le pape n’a cité ni les bourreaux ni les victimes, ce qu’on lui a beaucoup reproché. "Ce vœu de paix, l’humanité le doit aux centaines de milliers de personnes, qui sans aucune faute de leur part et uniquement pour des raisons de nationalité ou d’origine, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive", a déclaré Pie XII. Exemple type de ce que l’on appelait la "langue de bois vaticane", admet Philippe Chenaux.
D’après les archives, Pie XII était satisfait de son discours et pensait avoir fait passer un message. Il ne se rendait pas compte qu’il était "en décalage par rapport à la gravité de la situation", selon Gérard Araud. Un autre ambassadeur français, François Charles-Roux, a écrit dans un télégramme envoyé au Quai d’Orsay : "C’est incroyable, ce pape ne voit pas la dimension morale du conflit !"
"Contrairement à toutes les attaques stupides qui ont été conduites contre le pape, souligne Gérard Araud, le pape n’était absolument pas favorable au nazisme !" Avant de devenir pape, le cardinal Pacelli a grandement contribué à la rédaction de l'encyclique "Mit brennender Sorge" (1937), qui dénonce le non-respect du concordat du 20 juillet 1933, entre le Saint-Siège et le Reich allemand et critique le national-socialisme. Par ailleurs, la très grande admiration de Pie XII pour la résistance anglaise a même étonné Wladimir d’Ormesson. Ce que l’on peut reprocher à Pie XII c’est de ne pas avoir été "à la hauteur en tant que pasteur, qu’autorité morale".
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Ouvertes en mars 2020, les archives de Pie XII ont permis d’en savoir plus sur l’entourage immédiat du pape. Et sur une "mentalité antijuive" qui existait dans l’Église catholique, "dans le sens d’une hostilité au judaïsme en tant que religion, à bien distinguer de l’antisémitisme", précise Philippe Chenaux. Hostilité qui a fait que l’on n’a pas toujours "pris au sérieux" les informations qui arrivaient au Vatican.
D’une certaine façon, on peut dire que le Vatican n’était pas équipé intellectuellement, voire spirituellement, pour prendre conscience de la singularité de ce qui se passait. "Le Vatican n’a pas mesuré l’ampleur de ce qui se passait à Est durant la guerre, estime Philippe Chenaux, l’immensité, l’unicité, la singularité, de la tragédie de la Shoah."
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