Alors que la guerre se poursuit au Proche-Orient, on se demande de qui viendra la paix. Et quel visage prendra cette paix ? Une trêve, un nouveau processus sous la pression des armes ? La paix, oui mais à quel prix ? Le podcast PAS SI SIMPLE donne la parole à Bertrand Badie. Ce politologue, spécialiste des relations internationales, défend un autre regard sur la paix. Et plaide pour une véritable stratégie de paix.
"Construire la paix", le nouvel épisode du podcast PAS SI SIMPLE a été enregistré au lendemain de la mort du chef du Hamas, Yahya Sinwar, le 16 octobre 2024. Mort au sujet de laquelle Benjamin Netanyahou a déclaré : "Ce n'est pas la fin de la guerre, c'est le début de la fin." Plusieurs jours après, on constate que la guerre continue. Pourquoi n’y a-t-il pas de cessez-le-feu à Gaza ? Les forces en présence au Proche-Orient veulent-elles vraiment la paix ? Ce conflit vient-il redéfinir la guerre ? Le podcast PAS SI SIMPLE donne la parole à Bertrand Badie, politologue et spécialiste des relations internationales.
Selon le "Larousse", la guerre, c’est d’abord la "lutte armée entre États", en tant que "phénomène historique et social". Le dictionnaire propose une deuxième définition : "Lutte entre des groupes, entre des pays qui ne va pas jusqu'au conflit sanglant." Ce qui se joue au Proche-Orient semble mêler ces deux définitions. C’est bien un conflit sanglant mais où, au-delà des États, ce sont des "rationalités", qui s’affrontent, selon l’analyse de Bertrand Badie.
Il y a la "rationalité de l’État d’Israël", qui "considère que seul l’usage de la force peut garantir sa sécurité" - quitte à grimper dans l’escalade de la violence. Face à cet État, "des organisations non étatiques combattantes, qu’on appelle terroristes" et dont le but "n’est pas de satisfaire un État qui n’existe pas, par définition". Et qui "place les organisations dans une logique de la guerre continue".
Il y a bien d’autres États en jeu, mais "qui ne veulent pas la guerre", observe Bertrand Badie. "Les États-Unis parce qu’ils ont le sentiment qu’ils ne la maîtriseraient plus. L’Iran parce que ça risquerait de détruire les éléments de sa propre rationalité étatique… ou son identité de puissance régionale." Cette redéfinition de la guerre redéfinit-elle la paix ?
On n’a jamais défini correctement ce qu’était la paix. La paix, c’était la non-guerre
La vision de la guerre par Benjamin Netanyahou dit quelque chose de sa vision de la paix. "La politique d’Israël, décrit Bertrand Badie, c’est d’aller vers la guerre totale parce qu’il considère à tort à ou à raison que c’est une façon de construire leur sécurité." Pour l’ancien ambassadeur de France en Israël Éric Danon, "Netanyahou est plus intéressé par la sécurité que par la paix" (sur Public Sénat le 7 octobre 2024).
Que veut-on quand on désire la paix ? La sécurité armée ? Accalmie, trêve, bonheur ou béatitude sont autant de synonymes du mot "paix". Pourtant, ce serait une erreur de croire, selon Bertrand Badie, que la paix c’est "arrêter l’insupportable". Pour lui, la paix n’est ni "une trêve" ni "un cessez-le-feu" ni "un compromis".
En la matière, le politologue porte une voix singulière, à contre-courant du discours dominant qui voudrait que la paix s’obtienne par le rapport de force ou ne serait que l’absence de conflit. Nous héritons "d’un monde dans lequel la guerre était la règle du jeu", dit-il. "C’est pour ça qu’on n’a jamais défini correctement ce qu’était la paix. La paix c’était la non-guerre." Or, pour Bertrand Badie, cette vision-là de la paix ne fonctionne plus.
Si la guerre a été "le grand régulateur des relations internationales, de la construction de l’État-nation à la Renaissance jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, analyse Bertrand Badie, aujourd’hui, tout ça, c’est fini." Le politologue observe d’une part que la guerre ne permet plus d’instaurer un nouvel ordre international depuis 1945. D’autre part, elle ne se fait plus entre États mais entre des acteurs étatiques et, ou non-étatiques.
La paix "c’est le seul combat aujourd’hui, comme le disait Camus, qui vaille d’être mené et qu’on doit essayer de continuer de porter collectivement", disait Hanna Assouline, fondatrice du Forum mondial des femmes pour la paix (sur France 5, le 7 octobre 2024). Si l’on veut qu’elle soit comme la décrit Aristote "le suprême bonheur individuel", il est temps de penser "une stratégie de paix", encourage Bertrand Badie. Une sécurité certes, mais une sécurité alimentaire, économique, écologique, sanitaire…
"C’est des sociétés et des humains que viendra l’aspiration à la paix." Et selon Bertrand Badie, le modèle de paix souhaitable est par exemple celui du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur la sécurité humaine. La paix, pour qu’elle soit un état et non plus un processus ou un outil au service des États, doit être un combat, "une stratégie". "La paix n’est ni une action ni un processus, la paix c’est la vie !"
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