Paris
Les Jeux olympiques de Paris 2024 sont censés nous rassembler. Or, ils font l’objet de nombreuses polémiques. D’un côté il y a ce que les médias nomment le "JO bashing", de l’autre il y a toutes les valeurs associées au sport plus que jamais mises en avant : fraternité, tolérance, dépassement de soin, santé, bien-être... Mais n'en fait-on pas trop avec les valeurs du sport ? D'où vient ce discours si enthousiaste autour du sport, un domaine qui n'est pourtant pas épargné par les scandales ? Pour en parler, le podcast PAS SI SIMPLE reçoit la députée européenne Roxana Maracineanu, ancienne ministre des Sports et championne de natation.
"En 2024, on va vraiment la construire, cette nation sportive et tous ensemble on va faire nation par le sport", annonçait la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra le 1er janvier dernier sur BFM. Les Jeux olympiques de Paris commencent le 26 juillet prochain, ils seront suivis par les Jeux paralympiques jusqu’au 8 septembre. Les Jeux de Paris 2024 sont censés nous rassembler. Or, ils font l’objet depuis plusieurs mois de polémiques, sur le prix des billets, la sécurité, les dépenses, la qualité de l’eau de la Seine ou encore la présence d'Aya Nakamura… D’un côté il y a ce que les médias nomment le "JO bashing", de l’autre, toutes les valeurs associées au sport : fraternité, tolérance, dépassement de soin, santé, bien-être... L’activité sportive a d'ailleurs été déclarée grande cause nationale 2024. Mais n'en fait-on pas trop avec les valeurs du sport ? D'où vient ce discours si enthousiaste autour de l'activité sportive ?
Dans un monde médiatique qui privilégie la culture du clash et du zapping, pas si simple aujourd’hui de faire entendre avec clarté la complexité et la nuance ! RCF, avec Le Jour du Seigneur et Les Semaines sociales de France, vous propose PAS SI SIMPLE, un podcast pour prendre de la distance avec les certitudes tout en respectant les convictions.
Le sport est, avec la cuisine, l’un des seuls "endroits où l’apprentissage de la technique est valorisé", remarque Mariette Darrigrand. C’est aussi l’un des rares domaines à offrir aux jeunes "une gradation vers l’avenir". "Il y a très, très peu d’endroits aujourd’hui où on donne aux enfants la possibilité de monter en quelque sorte vers un avenir." Et là où la religion est vécue aujourd’hui comme quelque chose qui divise la société, la sémiologue analyse que "le sport c’est une sorte d’œcuménisme, décrypte la sémiologue, le sport est communiel".
Valeurs qu’a pu observer Roxana Maracineanu, invitée du podcast PAS SI SIMPLE. Première championne du monde française en natation et médaillée d’argent aux Jeux olympiques de Sydney, elle est devenue ministre des Sports des gouvernements d’Édouard Philippe et de Jean Castex. "Le sport, dit-elle, c’est un endroit où on est obligé d’apprendre la tolérance. Pour faire partie d’une même équipe pour avoir des coéquipiers autour de nous, on est obligé de prendre son temps pour pouvoir les connaître, connaître leurs faiblesses, leurs forces, pour pouvoir nous jauger des nôtres, et apprendre à s’agencer avec les leurs, pour pouvoir créer cette synergie qu’on voit de manière magnifique sur les terrains des sports collectifs, notamment."
"Les valeurs du sport sont contradictoires, écrit le philosophe Raphaël Enthoven dans "Nouvelles morales provisoires" (éd. L'Observatoire, 2019), le sport c’est la fraternité mais c’est aussi la loi du plus fort." De fait, à l’origine de la pratique sportive, il y a "une sublimation par le corps de la violence", selon Mariette Darrigrand. Le mot sport vient de l’ancien français "desport", c'est-à-dire "se déporter d'une activité habituelle". En d'autres termes le "divertissement". Ce sont les "college" anglais du XIXe siècle qui ont donné au sport "un sens éthique, moral, fait pour juguler l’énergie des jeunes ados".
Ce dont témoigne l’ancien rugbyman Matthieu Blin, quatre fois champion de France de rugby et aujourd’hui consultant sur Canal+. Le sport a été pour lui une façon de "se rentrer dedans de manière cadrée". "Pour moi qui avais tendance à être un très gros broyeur, je suis certain que ça m’a apporté énormément de choses." Le sport, "c’est du physique qu’il s’agit de réguler comme énergie et de soutirer, en quelque sorte, à la violence", rappelle Mariette Darrigrand. On comprend mieux dès lors comment on a attribué toutes ces valeurs au sport : "Aujourd‘hui, on en a besoin, de sublimer cette violence et de la dépasser."
Pourtant le milieu sportif n’est pas épargné par les scandales et la violence. Agressions sexuelles, emprise, ou encore dopage… Ainsi, le youtuber Tibo InShape, déclarait, sur X le 11 septembre 2023 : "Les gens sont surpris du dopage dans le foot. Mais ça fait parti intégrante du sport de haut niveau. Y’en a pas seulement dans le bodybuilding où le vélo." Il mettait en cause l’appétit des "spectateurs" avides de "performance et de résultat".
Il y a un lien, selon l’ancienne ministre Roxana Maracineanu, entre ces dérives et la notion de "sacrifice" que l’on impose aux sportifs. "À force d’accepter au nom de la performance... l’emprise des éducateurs, de l’entourage adulte sur les enfants, et puis derrière sur les adolescents et les adultes qui performent, on accrédite aussi un type de relation qui peut être néfaste même s’il ne débouche pas obligatoirement sur des dérives…" Roxana Maracineanu est aujourd’hui secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
Dans un monde en tension, où il y a beaucoup de choses qui divisent, ce qui rassemble a beaucoup de valeur pour les marques
Seulement "59 % des Français pratiquent une activité sportive de manière hebdomadaire", selon un sondage OpinionWay pour le CIC relayé par Le Parisien, et "17 % ne font jamais de sport" (article du 31 janvier 2024). Cela semble paradoxal dans une société qui encourage de plus en plus le bien-être. De fait, le sport est aujourd’hui omniprésent dans nos vies et cela est notamment dû aux marques qui s’en emparent. "Ce qui nous intéresse en premier c’est la capacité du sport à rassembler, explique Augustin Pénicaud, vice-président de l’agence Havas Play, spécialisée notamment dans le sport et chargée de stratégie pour les JO de Paris 2024. Dans un monde en tension, où il y a beaucoup de choses qui divisent, ce qui rassemble a beaucoup de valeur pour les marques…"
Le sport, c’est aussi des "idoles" et "des gens qui se rassemblent autour d’un champion qu’ils admirent, qu’ils applaudissent, des gens qui se rassemblent autour d’un sport qu’ils pratiquent ensemble…" Tout cela représente, "pour un annonceur, pour un communicant", décrit le Augustin Pénicaud, "une matière première qui est très intéressante."
Dans une société de l’image et des réseaux sociaux, le sport porte cette ambivalence. Il est synonyme de bien-être mais aussi de canons de la beauté poussés à l’extrême. "En sport, on touche le corps, on regarde le corps. C’est un lieu à où le corps est mis en scène en permanence, qu’il soit sexualisé ou pas, qu’il soit beau ou pas, mais la réalité c’est qu’on doit faire des parades, on doit montrer le geste sportif, on doit accompagner ce geste", rappelle Roxana Maracineanu. Elle souligne toutefois que "les valeurs du sport n’existent pas en soi, en elles-mêmes, c’est les gens qui font le sport, qui portent des valeurs."
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