Du 3 au 8 novembre, les évêques de France se réunissent comme chaque année pour leur assemblée plénière d’automne à Lourdes. Cette année encore, cette assemblée se déroule dans un contexte tendu. Un an après la publication du rapport Sauvé, l’affaire Michel Santier montre que l’on continue de traiter ce genre d’affaires en interne. Où va l’Église catholique ? se demande-t-on, car cette affaire met en cause non plus seulement la figure du prêtre mais celle de l’évêque.
"L’Église ne peut pas être une institution qui se protège", avait déclaré Mgr Éric de Moulins Beaufort le 5 novembre 2021 à Lourdes, après la publication du rapport Sauvé. Pourtant, un an après, on continue de traiter des affaires d’abus sexuels en interne : c’est le constat amer que d'aucuns dressent, depuis que le magazine Famille chrétienne a révélé, le 14 octobre dernier, les véritables raisons qui ont poussé Mgr Santier à démissionner (en janvier 2021). D’autres faits le concernant ont par la suite été révélés et un appel à témoignages à été lancé en Véndée. On parle désormais "d’affaire Santier" : l’ancien évêque de Luçon et Créteil s’est rendu coupable de voyeurisme dans le cadre du sacrement de la confession administrée à des jeunes hommes, alors qu’il était responsable de l’école de la foi à Coutances.
Michel Santier était "une belle figure des milieux charismatiques mais aussi du christianisme social, il avait fait de très belles démarches de repentance à l’égard des divorcés remariés ou des personnes homosexuelles, rapporte Céline Hoyeau, journaliste, responsable du service Religion du journal La Croix. Aujourd’hui, tout cela est par terre, on parle d’effroi et de sidération devant cette double personnalité.
"On se dit que le mécanisme de clivage et de minimisation des faits, c’est le propre des personnalités abusives, mais ça peut être aussi le fait d’évêques", observe Céline Hoyeau. Alors que le rapport Sauvé pointait la sacralisation du prêtre, "les évêques entre eux pensaient encore que l’évêque était intouchable", estime la journaliste. Force est d’admettre que la "tentation de se raccrocher à des figures" reste forte, selon l’auteure de "La trahison des pères - Emprise et abus des fondateurs de communautés nouvelles" (éd. Bayard, 2021), "parce qu’on est en période de grande crise de l’Église..."
On pensait pourtant avoir franchi un grand pas, déjà, en 2000. Suite à l’affaire Pican (du nom de l’évêque de Bayeux cité en Justice pour non-dénonciation), la CEF avait publié un rapport à l’attention des évêques pour les avertir sur le phénomène de la pédocriminalité. "Dès 2000, les évêques ont pris un engagement formel de dénoncer à la justice les faits qui venaient à leur connaissance et de soutenir les victimes", rappelle Monique Baujard, ancien directrice du service Famille et société au sein de la Conférence des évêques de France. "Ça n’a pas suffi…", admet-elle.
Tant que la dimension systémique n’était pas pointée du doigt, on pensait que les abus étaient le fait de personnalités marginales. "C’est vraiment le pape François, avec la crise chilienne, qui va faire le lien entre abus de pouvoir et abus sexuels", précise Monique Baujard. Aussi, la reconnaissance du caractère systémique des abus, suite au rapport de la Ciase, a-t-elle été une étape majeure. D’ailleurs, depuis la publication du rapport Sauvé, de nombreuses mesures ont été prises, tant au niveau de l’institution que dans les diocèses - plusieurs processus sont d’ailleurs en train d’être mis en place, tels que les "protocoles signés entre les diocèses et procureurs ou la professionnalisation des cellules d’écoute", liste Céline Hoyeau. "Mais toutes ces procédures suffisent-elles s’il n’y a pas une culture qui change en profondeur ?" demande la journaliste.
L’Église n’imagine même pas qu’elle peut faire du mal, il y a un impensé
"L’Église n’a pas l’habitude de rendre des comptes, elle vit en vase clôt, elle se pense comme une société parfaite", écrit Monique Baujard dans un ouvrage collectif qui vient de paraître, "J’écouterai leur cri - Cinq regards de femmes sur la crise des abus" (éd. Emmanuel / La Xavière, 2022). Elle écrit aussi : "Il manque une culture de la responsabilité sociale, qui obligerait à rendre des comptes et à prendre en considération l’ensemble des personnes affectées par son action." Mais "l’Église n’imagine même pas qu’elle peut faire du mal, il y a un impensé", selon Monique Baujard.
Que reste-t-il à changer ? La place des laïcs et celle des femmes en particulier ? Pour la religieuse xavière et philosophe, Agata Zielinski, "il nous faut absolument quitter l’entre-soi", écrit-elle dans "J’écouterai leur cri", dont elle est l’une des auteures. Elle maintient que la manière dont le rapport de la Ciase a été produit le montre bien : "On n’est plus juste ces hommes célibataires en noir : de l’extérieur de l’Église, on peut recevoir un regard sur ce qui se passe et ce regard nous éclaire et nous instruit." Parmi les questions que l’institution doit être capable de poser, factuellement, celle de la domination masculine, estime la xavière.
"Ce qui me frappe, c’est que des femmes vont être très sensibles à des violences de façon différentes, y compris à des comportements anormaux de la part de prêtres", observe le jésuite Patrick Goujon, là où "le monde clérical" s’est "mithridatisé". "On finit par ne plus repérer que des remarques sont vraiment de la misogynie quotidienne..." Le Père Goujon signe la préface du livre "J’écouterai leur cri". Il y décrit "le mal que nous faisons et que nous nous faisons à priver de parole les femmes, à les priver de pouvoir, à nous priver d’elles".
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