Les Jeux paralympiques ont été particulièrement mis en valeur lors de l'édition de Paris 2024. Était-ce le signe d’une meilleure inclusion des personnes handicapées dans la société ou une simple parenthèse ? L’absence d’un ministre chargé du handicap dans le premier gouvernement Barnier a suscité de vives polémiques. Peut-on au moins espérer un changement de regard sur le handicap dans la société ?
"Vous avez changé la manière dont les gens voient le sport et comment ils voient le monde et le handicap. Grâce à vous tout le monde a vu à quoi ressemblait un monde inclusif." Ces mots de Tony Estanguet, président de Paris 2024, dans son discours de clôture des Jeux paralympiques du 8 septembre 2024 laissaient entendre que le regard sur les personnes handicapées ne serait plus le même. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Parmi les athlètes des Jeux paralympiques, Milena Surreau championne de badminton. Elle souffre d’une maladie rare qui la prive peu à peu de l’usage de ses jambes, elle a aussi été diagnostiquée autiste. À vingt-sept ans, elle se bat avec détermination pour l’inclusion à travers des conférences et aussi grâce à son podcast "Journal d'une parabadiste".
Jeune femme de son temps, elle est de ceux qui osent prendre la parole sur internet pour évoquer son quotidien. "Aujourd’hui il y a de plus en plus d’outils qui nous permettent de le faire, admet-elle. On a des moyens pour se faire entendre, c’est plus facile de s’informer, d’être éclairé, déconstruit." Mais la société est-elle prête à écouter ? "Je pense que ça fait un moment qu’il y a des militants qui prennent la parole. Après, je pense qu’on est resté très longtemps sans nous écouter parce que c’est assez simple d’ignorer les personnes handicapées."
Ignorer les personnes handicapées par exemple en faisant des athlètes paralympiques des "super-héros". Les propos de Teddy Riner, le 13 août sur RTL, ont fait beaucoup réagir. En comparant les athlètes handicapés aux héros du film "Avengers", le judoka a fait "un peu ce qu’on peut appeler du validisme", estime Milena Surreau. "On s’imagine que, de par notre handicap, quand on fait quelque chose de normal entre guillemets, de lambda, on est exceptionnels. On n'est pas exceptionnels juste, à cause, ou grâce à notre handicap."
Le validisme, "c’est l’oppression que vivent les personnes handicapées, expliquait Mathilde François, membre du collectif handiféministe Les Dévalideuses sur la chaîne Blast, le 11 septembre 2024. C’est le fait de hiérarchiser les vies en fonction des capacités d’une personne. C’est le fait de rapporter la valeur d’une personne à sa proximité avec une norme valide, qui est une norme médicalement définie."
Répondant à ces propos de Teddy Riner, Michaël Jeremiasz, le chef de mission de la délégation française des Jeux paralympiques de Partis 2024, a déclaré : "Notre combat… ce sont les douze millions de personnes handicapées en France, les neuf millions d’aidants qui les accompagnent au quotidien. Et le milliard, parce que c’est de cela dont on parle, le milliard de personnes handicapées qui ne sont pas des super-héros." (Sur France inter, le 27 août 2024)
L’autre manière d’ignorer les personnes handicapées c’est sans doute ne le pas dire qu’elles le sont. C’est par exemple dire que ce sont "des personnes capables autrement". "Je trouve ça vraiment ridicule, s’insurge Milena Surreau, c’est tellement caricatural que je me retrouve pas du tout là-dedans !" La jeune femme le dit avec franchise : "Je suis très, très crue sur ce sujet. Pour moi, toutes les manières détournées, politiquement correctes d’appeler les personnes handicapées, c’est vraiment pour que les valides se donnent une bonne conscience parce que pour eux le handicap c’est un gros mot et le prononcer c’est absolument dégradant alors que pas du tout !"
"Handicap", comme le dit la sémiologue Mariette Darrigrand, est un terme "paradoxalement extrêmement positif". Il vient de l’anglais "hand in cap", c’est à-dire "la main dans le chapeau". Il s’agissait d’un jeu "avec trois joueurs qui ont des mises différentes dans le chapeau" et où il fallait que "les mises soient égalitaires". On retrouve ce mot dans l’hippisme : il désigne "le poids que l’on met en plus sur une selle de cheval pour que les jockeys soient équilibrés". Pour la sémiologue, "c’est une visée égalitariste qui relève du monde du sport". Il y a donc inclus dans le mot, "un désir d’inclusion".
On n’a pas besoin des Jeux paralympiques pour changer la vie des personnes handicapées. Pour changer notre vie quotidienne et qu’on puisse évoluer dans la société, on a besoin de politiques du handicap
Peut-on espérer un changement de regard ? Mais est-ce là la priorité ? "Aujourd’hui je n’ai pas besoin qu’on change de regard sur moi, affirme Milena Surreau. Quand on aura tous accès aux transports, quand on aura tous accès à l’école quand on aura tous accès à l’emploi, quand on aura tous accès à des logements… quand tous nos droits seront respectés, on sera tout simplement présent dans la société." Pour la jeune athlète, la question est d’abord politique. "On n’a pas besoin des Jeux paralympiques pour changer la vie des personnes handicapées. Pour changer notre vie quotidienne et qu’on puisse évoluer dans la société, on a besoin de politiques du handicap, qui soient globales, générales, dans tous les aspects de la société et pas simplement une compétition sportive réussie."
Pour changer le regard de la société sur le handicap, il faudrait d'abord que les enfants porteurs de handicap soient plus largement admis à l’école. "Les enfants ne côtoient pas dans leur jeunesse, dans leur enfance, dans leur adolescence, des personnes handicapées", décrit Milena Surreau. La difficulté notamment, d’accéder aux transports mais aussi à l’emploi ne favorise pas la rencontre entre individus. "En fait on ne nous voit nulle part donc forcément, personne ne sait ce qu’il faut faire avec nous !... Quand on aura accès à tout ça, on sera dans la société comme n’importe qui. Et ça deviendra totalement naturel et normal pour les gens de fréquenter une personne qui est en fauteuil, de savoir qu’on ne la pousse pas comme ça, par surprise dans la rue. Une personne aveugle on en le prend pas par le bras pour traverser une rue, etc."
En attendant, Milena Surreau l’assure : "Moi, personne handicapée, au quotidien au lendemain des Jeux, je vous garantis que ça n’a rien changé !"
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