Strasbourg
Le 24 juin dernier aux États-Unis, la Cour suprême a annulé l’arrêt Roe v. Wade. Elle n’a pas interdit l’IVG mais renvoyé la question à la compétence des États. Une décision qui a fait réagir en France, où une proposition de loi a été déposée pour inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution. Mais l'IVG est-il un droit ou une liberté fondamentale ? Qu'est-ce que ça change ?
Depuis une dizaine d’années, le nombre d’avortements est stable dans notre pays. De 2010 à 2020, il fluctue entre 220 et 230.000, avec un pic en 2019 avec 233.197 et une baisse significative sous la barre des 220.000 en 2016. "C’est un chiffre important malgré la prévention et la contraception disponible, constate Bruno Saintôt, ça reste un phénomène massif et préoccupant." Un phénomène dont le jésuite rappelle qu’il "n’est pas anodin, pour les femmes qui le pratiquent" comme "pour les soignants qui les accompagnent". Et ce n’est pas seulement le point de vue de l’Église catholique.
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En France, le délai pour pratiquer une IVG est passé de 12 à 14 semaines, avec la loi du 2 mars 2022. Loi qui a donné lieu à de nombreux débats, on a entendu plusieurs gynécologues par ailleurs favorables à l’avortement, exprimer leurs craintes notamment pour la santé des femmes. "Plus le délai s’allonge plus c’est une épreuve pour les soignants, même ceux qui sont favorables à l’avortement", souligne Bruno Saintôt. Le jésuite encourage la prise en compte du vécu des femmes et des soignants : "Il y a une réalité de la violence du geste lui-même : qu’est-ce qui se passe pour la femme ? Qu’est-ce qui se passe pour la personne qui pratique le geste ? On ne peut pas passer à côté de l’expérience des femmes et des médecins."
Cette loi a été l’occasion d’un débat, par ailleurs récurrent, sur la clause de conscience. Il s’agit d’une disposition juridique qui consiste à donner à une personne le droit de ne pas pratiquer un geste qu’elle juge en contradiction avec ses propres convictions. En France, en raison du faible nombre de médecins qui acceptent de pratiquer l’acte, il y a un problème médical d’accès à l’IVG, souligne le jésuite. "De moins en médecins souhaitent pratiquer ce geste."
Suite à la décision de la Cour suprême aux États-Unis, la députée française Aurore Bergé (LREM) a, le 25 juin dernier, déposé une proposition de loi pour inscrire "le respect de l'IVG dans notre Constitution". Un texte qui n’a pas été adopté. D’ailleurs, selon Bruno Saintôt, nous faisons en France "comme si des instances allaient combattre la loi existante pour revenir en arrière". Ce qui paraît peu probable, estime le jésuite : "Je ne pense pas qu’on puisse transposer la situation américaine. Cette effervescence dans l’opinion sur la crainte de revoir ce droit et de le supprimer c’est fantasmé ! Je ne vois personne en France qui clame qu’il faut revenir là-dessus."
La question d’inscrire ou non l’IVG dans la Constitution soulève en tout cas une question : l’IVG est-il un droit ou une liberté fondamentale ? Aujourd’hui l’interruption volontaire de grossesse est une liberté fondamentale encadrée par la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse, dite "loi Veil". Si l'avortement devenait un droit fondamental, cela pose plusieurs questions. "Sera-t-on en mesure de le réguler, de lui opposer quelque chose ? Est-ce que ça ne va pas déstabiliser tout le droit de l’IVG, sans parler de l’IMG ? Ne va-t-on pas donner aux femmes un droit absolu sur la vie ? Qui définira les limites ? Qu’est-ce qui va encadrer ce droit fondamental ?"
Pour le jésuite, au regard de la loi Veil, mais aussi de l’article 16 du Code civil, il faut trouver un équilibre entre la liberté des femmes et la protection de l’embryon assurée par le droit – Article 16 qui dit : "La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie." Selon la loi française, la vie commence dès la fécondation, rappelle le jésuite. Rien que sur le plan juridique le débat est d’une grande complexité.
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