Avec les nouvelles techniques de fécondation artificielle, "l’eugénisme est devenu un risque réel", selon le jésuite Bruno Saintôt. On n'en est pas encore à décider de la couleur des yeux ou du sexe de son enfant : la sélection des embryons aujourd'hui en France ne concerne que l'état de santé. Or, qu'est-ce qu'une maladie grave ? Moins notre société semblera prête à prendre soin des personnes malades ou handicapées, plus il y aura de pression sur les futurs parents.
Le terme a été forgé par l’anthropologue et proto-généticien anglais Francis Galton (1822-1911), qui en donne une définition pour le moins racialiste : "L'eugénique est la science de l'amélioration des lignées, qui n'est aucunement limitée à des questions de croisement judicieux, mais qui, particulièrement dans le cas de l'homme, prend appui sur tous les facteurs susceptibles même de manière limitée, de conférer aux races ou souches les plus convenables une plus grande chance de prévaloir rapidement sur celles qui le sont moins." (1883)
Aujourd’hui, ce risque d’eugénisme "ne porte plus sur la race mais sur la sélection des enfants à naître", explique le Père Bruno Saintôt, jésuite, directeur du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres à Paris. Ainsi, dans le cas d’une fécondation in vitro, il peut être tentant de sélectionner les gamètes en bonne santé, indemnes de toute maladie. Une fois qu’on a l’embryon, produits en plus grand nombre et cryo conservé, si on les décongèle, pourquoi ne pas les tester ?
"Dès qu’on introduit une technique, on introduit forcément des questions d’amélioration, de rentabilité, de sécurité : c’est inéluctable parce qu’on veut mieux faire, c’est intrinsèque aux techniques." La question qui se pose, et qui habite les lois de bioéthique depuis 1994, est la suivante : jusqu’où va-t-on dans les techniques de sélection ?
Certes on ne peut pas parler d’eugénisme d’État comme il y en a eu sous le IIIe Reich, mais Bruno Saintôt estime que l’on peut parler d’un eugénisme "libéral". Qu’il décrit comme "quelque chose qui se passe collectivement sans que l’État puisse en être responsable mais qui résulte de la conjonction des libertés personnelles dans des contextes qui peuvent être très contraignants".
Dans notre pays, la question de l’eugénisme se concentre sur non pas sur les caractéristiques de l’enfant à naître (comme le choix du sexe) mais sur le cas des maladies. Selon le jésuite, il y a eu un tournant avec l’extension des formes de diagnostic de la trisomie 21, "la première maladie génétique qui a été détectée". De moins en moins de personnes trisomiques naissent aujourd’hui en France : mais, dans le fond, pourquoi cette maladie-là ? Qu’est-ce qu’une maladie grave ?
"Il me semble qu’on va de plus en plus loin, estime Bruno Saintôt, on va vers des formes de diagnostic prénatal de plus en plus répandues, avec une précision de plus en plus grande, grâce aux techniques." Ainsi, les couples ou les personnes qui attendent un enfant détiendront de plus en plus tôt des informations très précises.
Or, aujourd’hui on sait combien l’accueil des personnes handicapées et malades est compliqué en France. Ainsi, "il ne faut jamais oublier le contexte social et politique et ne pas tout mettre sur la seule responsabilité des personnes et des couples", insiste le jésuite. La question de l’eugénisme pose donc immédiatement la façon dont notre société accueille les personnes les plus fragiles.
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