TRIBUNE CHRETIENNE - En effet, cette affaire pourrait bien nous faire réfléchir sur notre relation au pouvoir. Les neuf magistrats de la plus haute instance judiciaire des États-Unis ont examiné, jeudi dernier, les arguments de Donald Trump qui plaide en faveur d’une immunité totale dans l’exercice de ses anciennes fonctions.
La question posée, jamais tranchée jusqu’ici, est la suivante : un président des États-Unis peut-il ou doit-il bénéficier d’une protection le mettant à l’abri de futures poursuites pénales pour des faits commis lors de son mandat ? Si la Cour répond oui, le procès en cours contre le candidat Trump accusé de tentative de coup d’État et d’être à l’origine de l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, deviendrait caduque. Ledit procès a d’ailleurs été suspendu en attendant les délibérations de la Cour Suprême.
Sa décision est attendue d’ici l’été. Mais deux positions s’affrontent : les trois magistrats dits "progressistes" ont souligné les dangers qu’impliquerait une impunité de fait offerte au président, quel qu’il soit ; les juges conservateurs ont souligné, quant à eux, la vulnérabilité d’un ancien président qui serait dépourvu d’immunité et les risques d’une instrumentalisation politique des poursuites pénales, pouvant même conduire un président à s’auto-grâcier durant son mandat pour éviter d’être poursuivi après.
La Constitution rappelle pourtant que "personne n’est au-dessus des lois", y compris un président. La juriste américaine Sonia Sotomayor s’interroge : "Si le président décide que son rival est une personne corrompue et qu’il ordonne à l’armée de l’assassiner, cela relève-t-il de ses actes officiels pour lesquels il peut bénéficier d’une immunité ?". Le journaliste Piotr Smolar décrit, à juste titre, le paradoxe de cette situation : "L’Etat de droit que Donald Trump a voulu piétiner pour rester au pouvoir lui sert aujourd’hui de meilleur recours pour échapper à ses responsabilités."
Un président sans morale, est-ce encore un président ? On peut lui donner toutes les armes juridiques pour le blanchir, mais reste-t-il encore l’exigence morale qui incombe à chacun dans l’exercice de ses fonctions ? Si un président lui-même n’en a pas, qui donnera l’exemple aux citoyens ? Comme le disait un proche de Nelson Mandela (que j’ai eu l’occasion de rencontrer lorsque j’étais pasteur à Washington DC) : "Il serait peut-être judicieux que chaque homme politique ait fait 27 années de prison [comme Mandela], avant de devenir président".
Eric Fuchs, professeur d’éthique à la faculté protestante de l’université de Genève, dénonçait les risques d’un État procédurier, qui ne serait là que pour appliquer les lois et ne vivre que de procédures : "Une société qui se contenterait de "fonctionner", fût-ce dans le respect des procédures démocratiques, sans être convaincue qu’elle a un avenir [autre que la procédure], qu’elle est l’objet d’une promesse, qu’elle peut avoir un projet, est une société en train de mourir".
De même, Paul l’apôtre écrivait : "La lettre tue mais l’esprit vivifie". Notre démocratie occidentale crève sans doute du manque d’esprit, cherchant alors à exister par les procédures.
Une société procédurière révèle aussi notre relation au pouvoir. En général, on oppose le pouvoir (souvent négatif) et l’autorité (perçu comme une valeur positive) : dans l’Évangile, Jésus est sans pouvoir mais sa parole fait autorité ; c’est là sa puissance. Donald Trump, ancien président, pour l’instant déchu de ses pouvoirs, fait autorité parmi les petites gens. Ça pose question.
Je retiens pour l’heure la sagesse du philosophe protestant Paul Ricoeur: "Lorsque tu exerces un pouvoir sur l’autre, fait toujours en sorte à ce que l’autre puisse exercer un pouvoir sur toi." C’est ce que nous appelons la soumission mutuelle à laquelle nous nous engageons lorsque nous exerçons un ministère dans l’Église Protestante Unie de France. Cela devrait nous faire réfléchir sur les personnes que nous laissons au pouvoir et la façon dont elles l’exercent.
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