Alors que la Convention citoyenne sur la fin de vie a débuté, plusieurs personnalités se sont exprimées pour fustiger les responsables religieux qui prennent part au débat. Une attaque pas aussi "républicaine" qu’elle le prétend…
Dans L’Express la semaine dernière, 52 personnalités (dont des membres de l’ADMD, Élisabeth Badinter, Caroline Fourest, Jean-Louis Touraine ou encore Raphaël Enthoven) soutenaient le "combat" en faveur de l’euthanasie et jugeaient : "Que [des religieux] se prévalent de leurs croyances pour tenter d’empêcher ce débat, d’interdire l’échange à coups d’anathèmes et de menacer les institutions au nom de leur foi, est inacceptable". Et ce texte vous fait réagir… Par avance, je tiens à présenter mes excuses aux consciences laïques qui pourraient être heurtées par mes propos, qui sont ceux d’un chrétien, donc sans doute un peu séditieux sur les bords…
Eh bien, d’abord, ils ont l’audace de demander que soit appliquée la loi française en matière de soins palliatifs, puisque cela fait 20 ans qu’on attend les moyens de la mettre véritablement en œuvre. Ils menacent aussi la République en rappelant qu’un "débat apaisé" se doit d’être pluraliste, et pas seulement orienté dans le sens d’une évolution législative. Comme l’a malheureusement montré le lancement de la Convention citoyenne sur la fin de vie.
Dangereux aussi, sans doute, est le souhait de nombreux croyants qu’on ne travestisse pas le langage, en cherchant constamment à inventer de nouvelles expressions "plus positives" pour désigner une réalité : le fait d’administrer la mort. Péril républicain, toujours, de s’inquiéter d’une fuite en avant et de dérives d’élargissement de la loi, dérives qui ont eu lieu dans tous les pays qui ont légiféré en ce sens. Mais soyons honnêtes : la principale menace que représenteraient pour certains les croyants, c’est celle de prendre la parole, et d’avoir l’audace suprême de le faire comme citoyens. Vraiment, on croit rêver !
Notons tout de même que, selon toute vraisemblance, ce texte répond à un propos d’Éric de Moulins-Beaufort. Le président de la conférence épiscopale avait en effet estimé, fin octobre, que légiférer en faveur de l’euthanasie serait "franchir une ligne rouge". Qu’il ait fallu plus d’un mois pour que cette interview, extrêmement mesurée, fasse réagir, voilà qui en dit long sur l’urgence et la menace qu’elle représentait…
Mais pour résumer, l’argument principal de la tribune : les croyants ont, bien sûr, le droit de s’exprimer… mais pas au nom de leurs croyances. Ça tombe bien : c’est justement ce qu’ils font, en s’appuyant sur des principes de dignité humaine, de solidarité, de soutien des plus fragiles, de fraternité et, surtout, sur leur expérience de terrain. Non, ceux qui n’ont de cesse de renvoyer les croyants à leurs croyances, ceux qui "tentent d’interdire l’échange à coups d’anathèmes", pour disqualifier leurs opposants et essayer de censurer leur point de vue, ce sont des militants de l’euthanasie. Pire : ils n’hésitent pas à désigner une catégorie de citoyens comme de potentiels ennemis des institutions. Mais là, bien sûr, il n’y a aucune menace sur l’esprit républicain… non, vraiment aucune !
Disons-le simplement : cette tribune est grotesque, et son agressivité sidérante. Quant aux accusations de vouloir "empêcher le débat", elles sont d’une mauvaise foi sans nom : depuis au moins 1978, la question de la fin de vie ne cesse d’être discutée dans notre pays. Mais pour certains, il semble qu’un débat ne soit jamais un "vrai" débat tant que leur point de vue ne l’a pas emporté… Une vision aussi curieuse que peu respectueuse de l’autre.
En réalité, il n’y a pas ici de combat entre les Républicains et les séditieux, ou entre les laïques et religieux, mais entre deux principes fondamentaux de notre devise nationale. Les pro-euthanasie défendent une liberté individuelle sans limites, signe de progrès et d’émancipation, quand les opposants – parmi lesquels les croyants – s’attachent d’abord à ce que la même dignité et les mêmes droits, hors de toute pression sociale ou économique, soient offerts à tous en fin de vie. Ce principe à un nom : la fraternité. Et, jusqu’à preuve du contraire, on ne fait pas plus républicain.
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