LA CHRONIQUE DE STÉPHANE VERNAY - Il y a des phrases qui font le tour du monde. Celle prononcée lundi soir par le président Macron, à l’issue de la conférence de soutien à l’Ukraine organisée à l’Elysée, a fait l’effet d’une bombe. “Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée, des troupes au sol, mais, en dynamique, rien ne doit être exclu”.
Badaboum et patatras. Ces mots ont été entendus comme l’annonce d’un engagement prochain de soldats en Ukraine. Le Kremlin a fait savoir que pareil mouvement entraînerait inéluctablement un conflit direct entre Russie et Otan. Les chancelleries européennes se sont presque toutes fendues de déclarations officielles pour dire qu’il n’était absolument pas question d'envoyer des troupes en Ukraine.
Les oppositions françaises, soudainement coalisées de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par toutes les nuances du spectre politique ont unanimement crié à la folie et à l’irresponsabilité. Et l’Elysée, le Quai d’Orsay et le ministre de la Défense ont passé leur journée d’hier à rétropédaler, en expliquant que les propos du Président ont été mal interprétés.
Je ne crois pas qu’il y ait d’équivoque dans la phrase présidentielle. Il y a déjà des troupes de l’Otan engagées en Ukraine, des Britanniques et des Américains notamment, mais présentes en petit nombre, et pas de manière “officielle, assumée et endossée”, comme le dit le Président. Et si l’on veut vraiment que la Russie “ne gagne pas cette guerre”, il va bien falloir prendre de nouvelles initiatives, après deux années d’un conflit qui n’en finit pas.
Il n’y a pas de consensus autour du sujet à ce jour, ça, on l’a bien compris en voyant la pluie des démentis européens, hier, mais il faut laisser planer le doute. D’où la formule “rien ne doit être exclu”.
S’il s’agissait de faire peur aux Russes, en créant ce qu’on appelle “une ambiguïté stratégique”, c’est raté. La menace a perdu tout crédit à la minute même où nos partenaires européens ont commencé à dire qu’ils n’enverraient personne combattre en Ukraine.
S’il s’agissait de conforter les Ukrainiens en leur faisant miroiter un soutien d’une nouvelle nature, le fiasco est tout aussi spectaculaire.
S’il s’agissait de bousculer les opinions publiques européennes sur l’Ukraine, alors là, c’est une tout autre histoire. Nous venons de passer le cap des deux années de conflit, les soutiens à l’Ukraine s’émousse, la lassitude s’est progressivement installée, l’indifférence guette.
En brisant un tabou, le Président remet d’un coup la guerre au cœur de notre actualité. Il amène chaque camp politique à se repositionner publiquement, et très rapidement, sur la question. Il met en lumière l’hostilité des Russes à l’égard de nos démocraties. Et il va prolonger la séquence en organisant un débat à l’Assemblée, suivi d’un vote, sur l’accord de défense conclut à la mi-février avec l’Ukraine.
Si c’était bien l’effet recherché, c’est une réussite. Emmanuel Macron a toute notre attention, mais attention ! Le spectre de la guerre peut nous amener à resserrer les rangs, tout comme il peut nous conduire à désavouer le patron, par peur d’une vertigineuse escalade dans le conflit qui nous oppose aux Russes... En politique, la peur est une arme à double tranchant, à manipuler avec précaution. Est-ce bien le cas ici ?
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