Face à la colère des agriculteurs, on a beaucoup mis en avant l’excès de « normes environnementales » en opposant agriculture et écologie. Marie-Hélène Lafage n’est pas d’accord avec ce discours.
On sait que les causes de la colère des agriculteurs sont multiples. En faisant porter le chapeau aux « normes environnementales », on occulte l’essentiel du problème. La demande première des agriculteurs, c’est le prix, pouvoir vivre dignement de son travail, une meilleure reconnaissance dans la société. Le sujet c’est donc d’abord notre modèle agricole : cet écrasement de la valeur de la production, tout au bout de la chaîne, sous les pieds de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution ; ce manque de protection face à la concurrence sur des marchés mondialisés, encouragée par les traités de libre-échange ; cette impossibilité de concilier qualité agricole et environnementale d’une part, et rentabilité de l’autre
On se retrouve comme au moment de la crise des gilets jaunes à dire que c’est la faute de l’écologie, pour ne pas voir le fond du problème. Et certains ont bien intérêt à faire des « normes environnementales » le bouc émissaire : ceux qui ne veulent pas changer de modèle et ceux qui en sont les gagnants.
Il y a évidemment un sujet, mais il faut être plus précis. Dire « il y a trop de normes », en soi c’est un discours vague, et souvent populiste. Ça recouvre plusieurs choses. Trop de normes ça peut vouloir dire trop d’obligations ou interdictions avec lesquelles on est en désaccord. Si je suis productiviste, je pense que les impacts environnementaux – aujourd’hui majeurs – doivent passent après. Trop de normes ça peut vouloir dire trop de procédures : c’est une demande de simplification des démarches administratives, mais ce n’est pas forcément un désaccord de fond.
Trop de normes ça peut vouloir dire trop de complexité dans l’application de la loi, par exemple quand la loi est mal rédigée, n’est plus lisible, qu’on n’est pas accompagné non plus pour l’appliquer. Il faut voir au cas par cas le problème et limiter la charge administrative. Mais plus largement, les agriculteurs pèsent sous des contraintes plus que des normes. Comme on l’a dit précédemment, si je me sens déjà acculé par un système intenable, comment je peux accepter de perde encore en maîtrise sur mon activité ?
On doit d’abord avoir un débat de fond : face au modèle productiviste actuel et aux impacts qui sont majeurs sur l’eau, la santé, la biodiversité, le climat, il nous faut réaffirmer que nous avons besoin de normes qui sont des protections. Nier les impacts pour faire sauter les normes, c’est aller collectivement dans le mur. Et c’est ce qui est en train de se passer, de manière dramatique, sur les produits phytosanitaires. Ensuite il est urgent d’orienter dans le même temps les financements publics vers un changement de modèle, d’accompagner et de mieux protéger celles et ceux qui agissent dans le sens de la transition.
Nier les impacts pour faire sauter les normes, c’est aller collectivement dans le mur
Il y aura toujours trop de normes si elles ne sont que les gardes fous d’un système obsolète que l’on maintient tout en essayant d’en limiter les effets. Pour prendre un autre exemple, si l’on ne change pas notre manière de construire, il y aura toujours trop de normes en matière d’urbanisme. Enfin, en redonnant de la valeur – y compris financière - à l’action des agriculteurs qui préservent la terre et le vivant, on transformerait ce qui est aujourd’hui une contrainte en un levier.
Des chroniqueurs d'horizons variés nous livrent leur regard sur l'actualité chaque matin à 7h20, dans la matinale.
- Le lundi : Stéphane Vernay, directeur de la rédaction de Ouest-France à Paris, et Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de La revue politique et parlementaire ;
- Le mardi : Corinne Bitaud, agronome et théologienne protestante, et Marie-Hélène Lafage, consultante en transition écologique auprès des collectivités territoriales ;
- Le mercredi : Clotilde Brossollet, éditrice, et Pierre Durieux, essayiste ;
- Le jeudi : Antoine-Marie Izoard, directeur de la rédaction de Famille chrétienne ; Aymeric Christensen, directeur de la rédaction de La Vie ;
- Le vendredi : Blanche Streb, essayiste, chroniqueuse, docteur en pharmacie, auteure de "Grâce à l’émerveillement" (éd. Salvator, 2023), "Éclats de vie" (éd. Emmanuel, 2019) et "Bébés sur mesure - Le monde des meilleurs" (éd. Artège, 2018), et Elisabeth Walbaum, Déléguée à la vie spirituelle à la Fédération de l'Entraide Protestante.
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