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Ramadan, Paul et Karem Shalom… Quand Dieu s’invite à table, par Cyrille Payot

Un article rédigé par Cyrille Payot - RCF, le 5 mars 2024 - Modifié le 13 mars 2024
Tribunes chrétiennesRamadan, Paul et Karem Shalom… Quand Dieu s’invite à table

LA CHRONIQUE DE CYRILLE PAYOT - Jeudi dernier, le convoi de 88 camions humanitaires délivrait de la nourriture à Gaza par le terminal israélien Karem Shalom. Cette mission s'est fini dans un bain de sang avec des civils pour cible. Ironie : Karem Shalom veut dire : "Vigne de la paix". Cyrille Payot revient sur l'importance de la fraternité entre religions et sur le conflit israélo-palestinien. 

Cyrille Payot ©RCF Radio Cyrille Payot ©RCF Radio

Dans une ville de la Charente, imaginez autour de la table un représentant juif, musulman, un évêque, et un pasteur, dînant avec une représentante de l’État. Nous étions réunis pour parler de Fraternité.

Quand Dieu s’invite à table

C’est à l’initiative de nos frères juifs. Une table dressée comme un coupe-feu aux tensions internationales, comme une digue pour veiller à ce que la liberté et l’égalité dans notre pays ne se vive sans son allié nécessaire : la fraternité inscrite sur le fronton de nos mairies. Un repas dans la continuité d’un grand rassemblement pour la paix que nous avions organisé à Cognac après l’acte terroriste du 7 octobre. Un repas pour se redire l’importance de lutter contre l’antisémitisme et contre les discours haineux assimilant les musulmans pacifiques aux terroristes barbares. Un repas pour partager aussi nos préoccupations face à la montée de la christianophobie et des ayatollah d’une laïcité mal comprise. Lorsqu’une conférence est organisée dans un établissement public avec un représentant juif et musulman, et que la centaine d’élève attendue a été boycottée par le corps enseignant, empêchant cette rencontre, il est à se demander si la République n’est pas elle-même victime d’une ignorance qui inculque à tord la peur et le repli.

Une fraternité en souffrance

Une belle table de communion à laquelle Dieu s’est peut-être invité, en silence, avant le Ramadan qui s’ouvre ce dimanche. Et pour moi, chrétien, en ce temps de Carême, ce fut une belle façon de pratiquer "le jeûne auquel Dieu prend plaisir", selon le livre d’Esaïe : "Partage ton pain avec celui qui a faim, [...] ne te détourne pas de ton semblable."

C’est comme si la table( s’était renversée. Karem Shalom vous parle peut-être ? C’est le nom du terminal israélien, la porte par laquelle le convoi de 88 camions humanitaires est passé pour délivrer de la nourriture à Gaza, et qui a fini dans un bain de sang, jeudi dernier, avec des civils pour cible. Ironie : Karem Shalom veut dire : "Vigne de la paix". Des Palestiniens témoignent : "Ils nous jettent à manger comme on le fait pour des poules ou pour des chiens qui vont ensuite s’entre-tuer pour un bout d’os. C’est de l’humiliation. Nous ne sommes pas des animaux."

Dans l'Évangile de Jean (2, 13-25) du dimanche 4 mars, Jésus renverse la table et chasse les animaux ; il balaye d’un revers de main tout ce qui nous bestialise ! Hannah Arendt, philosophe allemande nous avertissait : "La mort de l'empathie humaine est l'un des premiers signes et le plus révélateur d'une culture sur le point de sombrer dans la barbarie."

Tribunes chrétiennesRamadan, Paul et Karem Shalom… Quand Dieu s’invite à table

Comment sortir de la barbarie ?

Peut-être en nous inspirant des hommes de paix qui ont fait l’actualité ces derniers jours. Les Victoires de la musique classique ont évoqué le nom du pianiste et chef d’orchestre Barenboim, israélo-argentin de passeport palestinien. Sa famille paternelle est originaire d’Ukraine, d’une localité juive. Barenboim est à l’initiative de l’orchestre West-Eastern Divan Orchestra, composé de Syriens, d’Egyptiens,  d’Israéliens et de Palestiniens. "Le concert de Ramallah" fut en événement fort qui devraient inspirer encore notre avenir.

Et comment ne pas évoquer la mort toute récente d’Emile Shoufani que j’ai eu la chance de rencontrer en Israël. Ce prêtre Melkite, de rite oriental, arabe et Israélien, surnommé le "curé de Nazareth", dirigeait une école. Quelques mois après la création d’Israël en 1948, il est expulsé avec sa famille. Son grand-père ainsi que son oncle sont tués par l’armée israélienne. Il est élevé par sa grand-mère qui lui inculque la valeur du pardon et le refus de la haine. Je me souviens de ses yeux brillants lorsqu’il nous racontait les séjours qu’il organisait avec les élèves israéliens invités à dormir dans les familles palestiniennes.

Le jugement du Roi Salomon

Je citerais le Rabbin J. Sacks, dans son livre intitulé La dignité de la différence. Devant deux femmes qui s’arrachent le même enfant, le roi Salomon propose alors de couper l’enfant en deux. La vraie mère se révèle être celle qui est prête à renoncer à l’enfant plutôt que de le voir tué. Et le rabbin nous pose cette question : "Qui des Israéliens ou des Palestiniens seront prêts à abandonner une partie de leur terre, celle à laquelle ils tiennent tant, pour que la vie, et en particulier celle des enfants appelés à grandir, n’y soit menacée ?". Et moi, à quoi suis-je prêt à renoncer en ce temps de Carême ?

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